Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teuffel par un ordre du jour daté de Rouen, annonçait que le roi de Prusse avait ordonné que les troupes portassent leur provision de bas à deux paires par homme, qu’une commande importante venait d’être faite, et que, si cette commande ne suffisait pas, les hommes étaient autorisés à s’approvisionner par voie de réquisition, l’intendance française en était réduite à recommander, en attendant la distribution des chaussettes de laine, de faire graisser l’intérieur de la chaussure tout comme préservatif contre le froid que pour rendre cette chaussure plus douce. Le reste était à l’avenant. La plupart des mobiles n’avaient que des blouses de toile ou des vareuses sans trame qui se déchiraient au moindre effort. Justement inquiet d’une pareille situation, le général Bourbaki ne voulait agir qu’après avoir complété l’équipement; il demandait quinze jours de délai pour mettre à exécution un plan habilement conçu, et d’après lequel.il se proposait d’occuper la ligne du chemin de fer d’Amiens à Rouen, de se réunir à l’armée de Normandie, et, la jonction faite, de se porter par une marche rapide sur Beauvais et sur Creil; cette combinaison promettait des résultats importants, car le général était parvenu à faire croire aux Prussiens que l’armée du. nord n’était qu’un mythe, une vaine menace mise en avant pour inspirer quelque confiance aux populations, et il ne se trouvait alors, aucun corps ennemi entre Amiens, Beauvais, Chantilly et Gisors. L’armée se montrait pleine de confiance, si mal équipée qu’elle fût, et ne demandait qu’à marcher, lorsque le général fut appelé à Nevers pour organiser une nouvelle. armée. Son départ eut des conséquences désastreuses.

La délégation de Tours confia le commandement intérimaire du 22e corps au colonel, depuis général Farre. Ce brave officier continuait les préparatifs, et il eût sans doute mis à exécution le plan de Bourbaki, si la délégation de Tours, qui était sujette à de soudaines illuminations stratégiques et qui avait besoin de bulletins de combats, ne lui eût point donné l’ordre le 21 novembre de marcher, sur Amiens, qui n’était point menacé. Le 27, l’armée prenait position au sud en avant de cette ville. Elle perdit la bataille de Villers-Bretonneux. engagée dans les conditions les plus défavorables. Le 22e corps se trouva complètement désorganisé, l’armée de Normandie, resta livrée à elle-même, et toute tentative ultérieure de jonction fut dès lors rendue impossible.

Telle est l’histoire de la formation de la première armée du nord: Bourbaki avait fait tout ce qu’il était humainement possible de Faire, et peut-être, si M. Gambetta l’eût laissé à son poste, un nouveau revers nous eût été épargné; mais, il fallait dans cette guerre fatale que toutes les mesures fussent prises à contre-temps et que