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municipaux. Les zones de servitude sont fort gênantes, et tous ceux qui sont arrivés aux honneurs de l’édilité locale, ce but suprême des ambitions et parfois aussi des incapacités bourgeoises, tous ceux qui veulent y arriver font comme les députés. — Au lieu de détruire vos forteresses, il serait peut-être plus prudent, répondit l’officier, de faire pour elles ce que nous faisons à Anvers, de les mettre en rapport avec les progrès de la tactique moderne. — Je le pense comme vous, monsieur; mais le gouvernement, l’opposition, les populations, les maires, les conseillers municipaux, les propriétaires qui veulent bâtir, les industriels qui montent des usines, tout le monde demande le déclassement. On ne parle que de combler les fossés, déniveler les demi-lunes, de vendre les matériaux des murailles, d’acheter des terrains militaires. — Je souhaite, reprit mon interlocuteur, que vous n’ayez pas à vous en repentir.» Un an s’était à peine écoulé que la plus terrible guerre venait réveiller les démolisseurs endormis dans l’hallucination humanitaire de la paix perpétuelle, et, par une amère ironie des événemens, on vit à Paris les hommes qui s’étaient montrés à la tribu e le plus hostiles aux fortifications de la capitale et aux zones de servitude condamnés à défendre les murailles contre lesquelles ils avaient tant de fois dressé les batteries de leur éloquence. Il en fut de même dans la région du nord.

A chaque nouvelle étape qui rapprochait l’armée allemande de Paris, il devenait de plus en plus évident que la vallée de la Somme serait appelée à jouer un rôle dans la lutte. Cette vallée a formé l’une des lignes de défense les plus importantes de l’empire romain au temps de la décadence, et les camps permanens, castra stativa, établis sur son parcours à Saint-Valery, à Caubert-lès-Mareull, à Liercourt, à Létoile, à Picquigny, montrent avec quel soin les passages en étaient gardées, et avec quelle parfaite intelligence l’état-major des césars savait mettre à profit les accidens du terrain[1], Villars après Malplaquet, Napoléon après Waterloo, ont un moment songé à s’y replier. Elle pouvait dans la dernière guerre offrir une excellente base d’opérations, et si au moment des premiers revers on y avait concentré des réserves, eu versant dans les cadres de quelques régimens de ligne les 25 ou 30,000 mobiles qui sont

  1. Les camps romains de la Somme forment un système défensif parfaitement conçu sur une ligne de plus de 70 kilomètres. Celui de Liercourt est le plus remarquable de tous et l’un des mieux conservés qui existent en France. Il est placé entre deux vallées et forme un triangle dont les deux côtés sont défendus par des escarpemens naturels sur lesquels on voit encore très distinctement la trace des travaux qui étaient destinés à en augmenter la force et la base par un retranchement en terre qui n’a pas moins de 8 mètres de hauteur à certains endroits.