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dépendance individuelle. Quelque défiance qu’on veuille avoir des formules très générales, celle-ci contient, croyons-nous, une notable part de vérité. Tacite nous a d’avance préparés à cette conclusion. Il nous a montré la famille germanique associée pour la protection mutuelle de ses membres, non pas asservie au despotisme du père. Tout membre de cette association naturelle peut la quitter en renonçant aux avantages qu’elle lui procure. Le fils une fois armé en présence de l’assemblée nationale devient indépendant; il combat ou siège à côté de son père et au même titre. Tacite, en des traits d’un vivant relief, nous a dit jusqu’aux abus de ce sentiment énergique de liberté personnelle. Ce sentiment, nous le retrouvons dans plusieurs dispositions des lois barbares qui confirment, les indications de l’historien romain. Est-il possible d’en suivre la persistance après l’invasion, en distinguant, à travers le mélange, des civilisations diverses, les traces romaines, les effets du christianisme, les influences purement germaniques, et ce. qu’il faut attribuer d’effets nouveaux au concours des circonstances? Ce serait là une recherche délicate, périlleuse, qui devrait s’appuyer tout d’abord sur les travaux accumulés d’une érudition scrupuleuse et patiente. Sans doute on ne médit de la première partie du moyen âge, comme d’une époque d’inertie et de ténèbres, que parce qu’on l’ignore. Quel intérêt n’offrira-t-elle pas si nous pouvons un jour, grâce au progrès de la science, suivre, comme le chimiste, le travail intime des divers éléments appelés alors à se pénétrer et à se combiner entre eux! Comment croire que l’esprit germanique n’ait exercé là aucune influence sociale où politique? Comment serait-il absent de la féodalité, animée à son début de ce même sentiment d’indépendance individuelle que nous avait offert le monde barbare? La féodalité n’a certainement pas paru tout d’abord oppressive ; en faisant de la possession du sol la base de tout droit, social, elle n’a fait que donner satisfaction à des peuples qui, après l’effroyable désordre des invasions, désiraient être fixés par de nouvelles attaches, telles que la propriété foncière. Elle a relâché les liens qui attachaient les sujets à un souverain commun, et elle n’a laissé en réalité subsister pour un temps que ceux par lesquels chacun d’eux se reliait désormais comme vassal à un suzerain immédiatement supérieur, la puissance comme la terre subissant un démembrement hiérarchique, que dominait un échange réciproque de droits et de devoir. N’est-on pas tenté de reconnaître à ce double symptôme, affaiblissement de l’idée de l’état, et avide, occupation de la terre, quelque influence de l’esprit d’individualisme germanique, et l’issue finale du mouvement qui avait sans cesse entraîné ces peuples de la vie nomade vers la vie agricole, et de la vie agricole vers la propriété, foncière privée ?