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quête, alors que, non écrites, elles étaient d’autant plus énergiques et d’autant plus obéies, soit après la conquête, lorsqu’elles durent accepter le partage avec les institutions et les lois romaines. S’il en est ainsi, comment donc est-il possible de douter que le génie germanique ait apporté dans l’occident de l’Europe un certain nombre d’institutions ? Comment méconnaître qu’il s’agit de quelque autre chose que de vagues et indécises coutumes, vaine expression d’une pure barbarie ?

Il y a un trait commun de ces lois qui paraît mériter surtout l’attention : c’est leur caractère de personnalité. De même qu’au-delà du Rhin chaque tribu, vivant sous sa règle propre, reconnaissait aux tribus sœurs un droit pareil, de même les barbares, une fois entrés en Gaule, sans abdiquer leurs coutumes, reconnurent aux Romains, avec qui désormais ils devaient vivre, la faculté de conserver les leurs. Ce respect des lois personnelles résultait naturellement, il est vrai, de l’état de civilisation auquel les Germains étaient parvenus. Depuis les premiers temps où l’histoire les aperçoit, ils avaient poursuivi un continuel progrès, d’abord nomades et étrangers à la propriété foncière privée, puis se fatiguant de la vie errante et venant de toutes parts, loin de leur pays peu fertile et sans cesse agité, demander des terres à l’empire, — en même temps se réunissant chez eux en groupes toujours plus considérables, jusqu’à offrir vers le IIIe siècle des confédérations importantes, qui n’atteignaient pas toutefois ce degré de formation intense et politique qu’on appelle état. L’état proprement dit ne se passe pas de cette sorte d’unité matérielle et morale inhérente à un territoire aux limites précises qu’on retient et qu’on gouverne par la généralité d’une loi unique partout acceptée, partout obéie. Les Germains n’en étaient pas là : sans parler d’autres obstacles, il y avait trop peu de temps qu’ils se familiarisaient avec la possession et le gouvernement territorial pour qu’ils pussent atteindre à une telle unité. Ils en restaient à la pratique de lois particulières pour les différens groupes d’une grande association aux limites un peu vagues, comme celles que forme le souvenir ou le sentiment de l’unité de race, admettant sans doute une certaine subordination des tribus entre elles, mais non pas des tyrannies et des servitudes. Au lendemain donc de la conquête, la loi romaine devint, de territoriale et générale qu’elle était, purement particulière et personnelle, au même titre que les lois barbares. De telles concessions pouvaient révéler l’absence d’une vraie force politique ; mais, de la part de vainqueurs qui avaient après tout la force en main, elles étaient le fait de tribus aptes à la civilisation, non pas de tribus farouches qui auraient imposé autour d’elles uniquement l’obéissance passive et l’esclavage.