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né de la race romaine ou bien être né non libre, même parmi les Francs ce sont deux causes d’une certaine infériorité inévitable. « Tout cela, dit Montesquieu, devait être accablant pour les Romains... Cependant, continue-t-il, M. l’abbé Dubos forme son système sur la présupposition que’ les Francs étaient les meilleurs amis des Romains. Ils étaient leurs amis comme les Tartares qui conquirent la Chine étaient amis des Chinois ! »

Savigny a pensé que, lorsque les Francs eurent obtenu la domination de la Gaule, la constitution des impôts subsista pour les sujets romains, ainsi que la distinction des classes dont elle était le fondement, mais que toute terre échue aux propriétaires francs en fut exempte. Cette différence de traitement indlqu3rait sans mil doute une différence de rang social, nouvel indice de la conquête; mais il est probable qu’on doit entendre l’assertion de Savigny dans un sens moins général et moins absolu que celui qu’il adopte. Au-delà du Rhin, les Germains ne se croyaient tenus envers le roi qu’à un certain nombre de dons ou de contributions volontaires dont l’usage traditionnel, selon certaines époques et certaines occasions, assurait la régularité. Une fois les barbares établis à côté des Romains, ou bien l’ancienne tradition germanique, quant aux impôts, se trouva rompue, ou bien ce qu’elle donnait de résultats en se continuant ne répondit plus aux nécessités d’une situation nouvelle. Les rois francs, en laissant subsister pour leurs sujets romains l’organisation romaine de l’impôt, essayèrent donc d’y soumettre aussi leurs sujets barbares; nous en avons la preuve dans les nombreux récits de Grégoire de Tours, où nous voyons les Francs se révolter contre ceux des fonctionnaires ou des rois mérovingiens qui essayaient de leur imposer le tribut. L’impôt romain, avec sa régularité égalitaire, leur semblait une marque de dépendance et leur était odieux. Hors du pays des Francs, nous trouvons un texte de la loi des Visigoths[1], qui prouve que chez ce peuple le vaincu, seul, primitivement au moins, supportait cette charge. « Que les juges et les préposés enlèvent à ceux qui s’en seraient emparés les tiers des Romains, et qu’ils les fassent rendre à ceux-ci sans retard, afin que le fisc n’y perde rien. » Chez les Vandales, Genséric enleva les meilleures terres à leurs légitimes possesseurs, dit expressément Procope, et les distribua à ses compagnons d’armes, en les déclarant exemptes à perpétuité de tout tribut; ce qu’il y avait de terres impropres à la culture, il le laissait. aux anciens possesseurs en les accablant d’impôts.

S’il est vrai que les Francs aient dépossédé de leurs terres une très grande partie des habitans de la Gaule, usant de violences

  1. Livre X, titre I, § 16.