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avec la Germanie, ne peut qu’avoir coïncidé avec une sorte d’anéantissement de l’ancienne population, et quelle autre cause y pourrait-on deviner que l’occupation franque? On lit dans les Vies des saints que, maîtres de Tournai, les Francs ordonnèrent à tous les chrétiens d’en sortir et leur confisquèrent tous leurs biens. Clodion, lorsqu’il prit Cambrai, fit tuer tous les Romains qu’il y rencontra. Sidoine gémit dans ses lettres de ce que la langue latine ait disparu des contrées belge et rhénane. Une parente de Salvien qui habitait Cologne, une matrone romaine, comme on disait encore, réduite en captivité, en vint à une telle misère qu’elle dut, pour subsister, s’engager comme servante auprès des femmes de ces barbares. Les témoignages analogues seraient aisément multipliés à l’infini. C’est qu’il s’était agi de très bonne heure ici pour les Francs d’un établissement définitif et non plus seulement d’expéditions temporaires. Leur long séjour sur la rive occidentale comme gardiens du fleuve les avait mis en état d’éloigner toute résistance sérieuse du gouvernement impérial ou des populations mêmes.

Le nord de la Gaule acquis aux Francs, l’est aux Burgundes et le sud aux Visigoths, il restait encore au centre une Gaule romaine. Faut-il croire que, lorsque nos premiers Mérovingiens s’avançaient en maîtres jusqu’à la Somme, et les petits rois des autres tribus franques jusque dans l’ouest, jusqu’au Mans, tout cela fût conforme à la politique impériale, et ne lui parût offrir que de fidèles alliés? La chancellerie romaine pouvait bien s’obstiner à considérer ces groupes barbares comme des auxiliaires en cantonnemens, elle pouvait revendiquer encore la souveraineté des contrées occupées par eux; mais ces prétentions ne changent rien à la réalité des choses. Si le Romain Syagrius avait pu s’opposer à ce que Clovis s’emparât de sa résidence, Soissons, après l’avoir complètement battu, s’il avait pu défendre de même Narbonne et Arles contre les Visigoths, certes il l’aurait fait. Clovis eut encore après Soissons, nous dit Grégoire de Tours, beaucoup de combats à soutenir, beaucoup de victoires à remporter; il lui fallut dix années entières pour étendre pas à pas son royaume jusqu’à la Seine et ensuite jusqu’à la Loire; il rencontra, nous dit-on expressément, beaucoup de résistances. Que peut-on trouver dans tout ceci qui ne soit d’une conquête?

Le grand argument de l’abbé Dubos, qu’on a depuis répété et renouvelé, et qui est, avec le souvenir des traités, comme la clé de voûte de son système, c’est que les prédécesseurs de Clovis, et Clovis lui-même dès ses premiers pas, avaient reçu le titre de maître de la milice, preuve que Rome ou Byzance après elle, si elle trouvait ces chefs barbares assez peu dociles, sanctionnait pourtant