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Retrouverons-nous dans l’établissement des tribus franques les mêmes traits de conquête que nous ont offerts les établissemens des Visigoths et des Burgundes? Sera-ce du plein gré du gouvernement impérial qu’après avoir fait pendant un temps leur devoir comme alliés et gardiens de la frontière rhénane, les Francs se joindront eux-mêmes aux envahisseurs et s’avanceront d’étape en étape? S’établiront-ils pacifiquement en Gaule? prendront-ils pour eux, par un partage légal, comme les Burgundes et les Visigoths, une certaine portion des terres?

Il faut absolument distinguer entre les diverses régions de la Gaule par eux successivement occupées : ces régions n’offraient pas toutes les mêmes conditions politiques; les Francs ne les abordaient pas en d’égales dispositions, elles ne reçurent pas d’eux un traitement uniforme. Quant au nord-est, dont ils s’emparèrent dans une première période de leurs envahissemens, comment pourrait-on douter que l’occupation franque y ait apparu comme une conquête oppressive et violente? Le nom des Francs apparaît pour la première fois vers 240, et déjà Aurélien leur livre des combats sanglans, que rappelle la chanson militaire Mille Francos, mille Persas scmel occidimus. Probus doit las expulser de la Gaule, dont ils se sont presque emparés : Galliœ omnes a Germains possessœ... Il les poursuit au-delà du Rhin; mais il doit se contenter d’ajouter quelque nouveau mur à la ligne de fortification commencée dès le temps de Tibère, et qui joint désormais, de Cologne à Ratisbonne, le Rhin et le Danube. Un certain nombre de ses captifs ont été transportés aux extrémités du monde romain, sur les côtes de la Mer-Noire; ils se saisissent de quelques navires, s’engagent sur la Méditerranée, prennent Syracuse au passage, traversent le détroit, et rentrent dans leur patrie par l’Atlantique et la Mer du Nord : c’est déjà, à quelques siècles de distance, le même sang de hardis pirates qui suscitera les navigateurs northmans. La lutte incessante recommence après Probus. Constance Chlore passe vingt années à combattre les Francs. Constantin livre aux bêtes dans le cirque de Trêves deux de leurs chefs, contre lesquels, dit un contemporain, les insultes des spectateurs s’acharnent, en forme de vengeance, aussi cruellement que les morsures des bêtes féroces. Julien, son neveu, les bat après qu’ils ont brûlé quarante-cinq villes dans la région du Rhin et tout dévasté jusqu’à la Meuse. Il a surtout affaire aux Francs-Saliens, qui se sont établis hardiment sur le sol romain, en Toxandrie, c’est-à-dire de la Meuse à l’Escaut, ausos in romano solo habitacula sibi figure prœlicenter.

Est-ce que ce n’est pas là déjà l’invasion? Est-ce que ce n’est pas le commencement de la conquête? Que peut opposer le système