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ment, ne servit qu’à le désigner aux spoliations. Il avait quelques biens en Épire, comme autrefois Atticus, l’ami de Cicéron, et il aurait pu s’y retirer; mais l’amour du pays le retenait, il s’en alla vieillir à Marseille dans l’abandon et la pauvreté.

Sur ce point important de la dépossession du sol, la loi burgunde paraît également précise. Rédigée une trentaine d’années après la conquête, elle nous permet d’en apprécier le mode et les premiers résultats. Le titre 54 par exemple nous instruit d’un partage attribuant à une partie des Burgundes un tiers des esclaves et deux tiers des terres cultivables, pris évidemment sur les domaines particuliers, car autrement il ne serait pas question de fractions telles que ces deux tiers. Un certain nombre de Burgundes avaient reçu tout d’abord du roi, sur les terres fiscales ou terres publiques, des lots suffisans, et on leur avait donc interdit de prétendre à être compris en outre dans le partage des domaines privés. Leur cupidité ayant méprisé cette défense, la loi intervient, et le titre 54 a pour objet de les forcer à rendre ce qu’ils ont usurpé : « quiconque, ayant reçu de notre libéralité des esclaves et des terres, aura pris en outre, contre notre défense, quelques parties des terres d’un hôte romain, devra les restituer sans délai, afin que la sécurité soit rendue à ceux auxquels il a été fait tort, huc usque contemptis. » Non-seulement le Romain est en partie dépossédé, mais la loi fait de visibles efforts pour conserver dans la famille burgunde le lot acquis par le fait de la conquête. C’était par exemple chez ce peuple une coutume devenue nationale que le père de famille partageât en portions égales, de son vivant même, sa fortune avec ses fils, probablement en se réservant moitié du tout[1]. Une loi ultérieure survient et permet au père de disposer comme il l’entend de sa fortune, patrimoine et acquêts; mais elle excepte formellement de cette libre disposition le lot de la conquête, sors ou terra sortis titulo acquisita, qui doit continuer à être transmis, selon la tradition, à ses héritiers de son vivant[2]. C’est l’ancien principe de la permanence et de la solidité de la famille germanique qui reparaît. La loi est si jalouse de sauvegarder la propriété nouvellement acquise, et de fixer ainsi le barbare à sa nouvelle patrie, qu’elle s’efforce de le lier à cette propriété en restreignant le plus possible son droit d’aliénation. C’est le sens du titre 84 : « ayant été informé qu’un certain nombre de nos sujets burgundes sont trop empressés à se défaire de leurs lots, nous avons cru devoir ordonner par la présente loi que nul ne pourra vendre sa terre, s’il ne possède ailleurs un autre lot ou d’autres terres. »

  1. Titre LI,.§ 1.
  2. Titre I, § 1.