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calma l’eau, qui fut immédiatement couverte de brins de paille, de chats gonflés, de chiens noyés, de plumes de volailles et d’une telle quantité de bouchons que j’en restai stupéfait. A mon exclamation involontaire, un des hommes qui m’accompagnaient répondit : « C’est un bon métier que celui de marchand de vin. » Je le crois sans peine : le grand collecteur de la rive droite en pourrait témoigner.

Parfois on entend un choc violent dont le bruit, sourd et brutal tout ensemble, se répercute dans la galerie : c’est une voiture qui, passant au-dessus de nos têtes, frôle et soulève une des plaques de fonte qui ferment l’issue des regards. Dans ce vaste égout, on n’a pas épargné les regards, et l’on a établi en outre des ponts de secours, notamment sur les portions qui, franchissant les hauteurs du boulevard Malesherbes, sont creusées à une grande profondeur. Deux escaliers placés en face l’un de l’autre et s’enfonçant dans l’épaisseur des parois latérales donnent un accès facile dans une chambre placée en soupente au-dessus de la voûte même; toute comparaison gardée, cela ressemble au pont du Rialto qui est à Venise sur le grand canal; en cas d’orage et d’invasion des eaux, les hommes trouvent là un refuge assuré. On ne peut se défendre d’un sentiment d’admiration en voyant avec quels soins ingénieux et perspicaces on a prévu et neutralisé tous les dangers. On entend un bruit de cascades qui rappelle les voyages en Suisse; on approche, et l’on voit un égout de quartier qui dégringole du haut d’un escalier de pierre et se jette au collecteur. Si l’on gravit les degrés, on se trouve en présence d’une galerie représentant les types 10 ou 12, c’est-à-dire d’un simple canal sans trottoir et où l’eau baigne directement les murs de l’œuvre; c’est pour se promener dans ceux-là qu’il faut ces fortes bottes dont nous aurons bientôt à parler.

Il suffit de lever les yeux vers la voûte d’un égout pour reconnaître si la chaussée qui forme la voie publique est en bon état, si le macadam est bien massé, si les pavés ne sont pas trop disjoints, si l’asphalte n’est point lézardé. Partout où la rue est bien entretenue, la voûte est nette, brillante, unie comme un marbre; partout au contraire où le chemin est défectueux, elle laisse transsuder des filtrations qui déposent sur l’enduit des moisissures noirâtres et moussues. La marge des trottoirs est ouverte de dix en dix mètres de petits trous circulaires, tuyaux de drainage qui pénètrent dans le sol et en recueillent l’humidité ; quelques-unes de ces barbacanes sont incrustées d’une matière blanchâtre, dépôt d’une source minuscule chargée de calcaire. Lorsque déjà on aperçoit tout au bout de la galerie un jour verdâtre qui annonce la fin du voyage, on entend une rumeur sourde, continue, qui mugit comme un taureau captif : c’est le collecteur de la rive gauche, c’est la Bièvre qui ar-