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le commandant Sancery était en marche sur Chennevières, lorsque tout à coup, entre deux et trois heures, ces troupes, qui ne demandaient qu’à combattre, qui avaient vu plusieurs fois depuis le matin l’ennemi reculer devant elles, recevaient un ordre de retraite. D’où pouvait venir cet ordre si imprévu ? A coup sûr, il ne venait pas du commandant en chef. Le général Ducrot se trouvait en ce moment vers le « four à chaux, » et il n’était pas de bonne humeur parce qu’on n’avait pas construit des épaulemens qu’il avait demandés. Il songeait si peu à la retraite que, lorsqu’un officier d’état-major venait lui annoncer ce qui ce passait, il ne pouvait contenir sa colère ; il faisait dire au général Blanchard, commandant du Ve corps, que sous peine de mort il était défendu d’abandonner aucune position ; mais c’était déjà fait. Le général Ducrot, en descendant lui-même à Champigny, trouvait une partie de la division Faron refluant en arrière du village, qui était presque évacué, il était obligé de donner immédiatement l’ordre de se reporter en avant de Champigny, et en effet rien n’expliquait un tel découragement.

On n’avait pas été repoussé par le fait devant Champigny, on était toujours devant Villiers. Le général Ducrot ne se tenait nullement pour battu : il se disait tout au plus que c’était une affaire à recommencer le lendemain avec son 3e corps, qui lui avait manqué. Il en était là quand subitement, entre trois et quatre heures, il entendait un feu violent de mousqueterie dans la direction de Villiers. Il courait aussitôt vers cette partie du champ de bataille, croyant à un retour offensif des Prussiens : c’était le 3e corps qu’il avait attendu vainement à midi et qui arrivait après trois heures !

Que s’était-il donc passé ? Il y avait eu évidemment bien du temps perdu. Les divisions Mattat et de Bellemare avaient erré inutilement au-delà de la rivière toute la matinée malgré les pressans appels du général en chef. Le commandant du 3e corps ne se hâtait pas. On n’avait pas passé la Marne sous Neuilly, quoique le général Princeteau se fît fort de préparer le passage pour dix heures, et on n’avait pas même tenté le mouvement par Noisy-le-Grand. Devant Brie, le commandant Rieunier avait eu une peine extrême à établir les ponts sous le feu de l’ennemi, qui occupait encore à ce moment le village. Il n’arrivait à tout surmonter qu’à l’approche de trois heures. Alors la division de Bellemare attaquait Brie avec impétuosité, chassant les Saxons ; puis elle s’élevait rapidement à son tour par les pentes de Villiers, allant renouveler les assauts du matin. Trois fois les zouaves de la brigade Fournès s’élançaient sur le parc de Villiers avec la plus fougueuse intrépidité, ils ne pouvaient arriver, mais ils ne se repliaient que pas à pas, se retournant à chaque instant pour faire feu, intimidant l’ennemi, à qui ils reprenaient