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modifiés de fond en comble. La méthode de construction a été singulièrement améliorée. Autrefois les égouts étaient bâtis en simples moellons, pierre molle comme son nom l’indique, facilement pénétrée par l’humidité, qui la désagrégeait et exigeait des réparations continuelles. Vers 1832, on substitua la pierre meulière, fort abondante aux environs de Paris et qui offre de remarquables qualités de résistance. En 1844, on employa le mortier de ciment romain pour la voûte seulement; c’était un progrès considérable, car la rapidité d’exécution était quintuplée. Depuis 1855, la galerie entière des égouts fut revêtue d’un parement de ciment hydraulique, grâce auquel on obtient une solidité et une propreté que l’on ne connais- sait pas jadis. Les cas d’asphyxie ne se présentent plus dans nos nouveaux égouts; il faudrait des circonstances absolument exceptionnelles pour que l’on eût à redouter des accidens pareils; on a chassé « les basilics » qui savaient si bien, sous Louis XIII, tuer les ouvriers d’un coup d’œil. Des engorgemens, des amoncellemens de détritus semblables à ceux qu’a supportés l’égout Amelot ne sont plus à craindre; les pentes ménagées avec soin et scientifiquement déterminées, une surveillance active, la masse d’eau entraînée chaque jour, remédient d’avance à ces inconvéniens. Les grilles qui jadis protégeaient l’ouverture des chutes au milieu des rues ont été jetées au tas des vieilles ferrailles; elles sont remplacées par les bouches d’égout dissimulées sous la margelle du trottoir. On ne les a pas ménagées : au 31 décembre 1872, Paris en comptait 6,764; elles suffisent même dans les orages les plus violens à recevoir le trop-plein de nos 2,012 rues, de nos 138 places, de nos 55 quais et de nos 167 boulevards.

C’est devenu une sorte de partie de plaisir de visiter les égouts ; tous les mois, on y fait une promenade publique, et les billets distribués par l’administration sont fort recherchés. Le trajet n’est pas bien long, mais il suffit pour amuser des curieux, que l’on mène d’abord en wagon et ensuite en bateau. Le voyage est limité; il commence place du Châtelet et finit à la place de la Madeleine. Dès que l’on a descendu l’escalier de fonte en vrille et que l’on a pénétré dans la vaste chambre, le Paris souterrain se dévoile; il livre son secret d’un seul coup. Ces énormes conduites métalliques, brillantes et polies comme un marbre noir, qui s’appuient sur de fortes béquilles de fer, portent les eaux de l’Ourcq, de la Seine, et attendent celles de la Vanne; elles poussent sous chaque trottoir du Pont-au-Change deux tuyaux qui partent d’un tronc commun et ressemblent aux jambes d’un géant nègre couché sur le dos; plus loin, les conduites moins amples et par conséquent moins pesantes peuvent être « agrafées » aux parois mêmes de la muraille,