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des finances. Tout a été détruit, et c’est bien le cas de dire que le remède, un remède inconnu, ne peut plus sortir que de l’excès du mal. Depuis que les cortès réunies à Madrid ont proclamé la république fédérale, et cela ne date même pas d’un mois, il y a eu une demi-douzaine de crises ministérielles, ou, pour mieux parler, c’est une crise permanente d’où il ne peut arriver à se dégager un pouvoir quelconque. Cette assemblée de Madrid composée d’inconnus flotte sans direction et sans règle, toujours menacée par les séditions populaires et livrée au sentiment de son impuissance. Tant que ce n’était qu’un état provisoire, on pouvait attendre encore et se persuader avec quelque bonne volonté qu’il finirait par se reconstituer quelque chose ; puis il y avait du moins dans le gouvernement cette sorte de triumvirat composé de MM. Figueras, Castelar, Pi y Margall, qui n’étaient pas les premiers venus, qui avaient une certaine notoriété, un certain relief de talent et d’esprit. M. Figueras, fatigué du rôle qu’il jouait, s’est hâté de quitter la partie à la suite d’une journée où la guerre civile a été tout près d’éclater dans Madrid. M. Castelar, qu’on a cru un moment parti, lui aussi, n’a pas quitté Madrid ; mais il n’est plus au pouvoir, il n’est guère écouté, et il passe déjà pour un réactionnaire aux yeux des « intransigens. » Il est occupé à rêver la constitution de la fameuse république fédérale, qui sera la guerre civile organisée et généralisée, si elle est telle qu’on veut l’établir. Des trois leaders de la république, M. Pi y Margall est donc resté seul sur la brèche. C’est l’homme pour tout faire dans le chaos espagnol.

Que représente M. Pi y Margall, et sous quel titre est-il chef du gouvernement ? C’est assez difficile à dire. On a commencé par le faire président du conseil, on lui a même donné un ministère élu au scrutin ; mais, si ce ministère a vécu réellement, il n’a pas eu une longue vie ; du premier coup, il s’est disloqué. Alors on a cru sortir d’embarras en confiant à M. Pi y Margall les pouvoirs nécessaires a pour former un ministère et pour résoudre les crises qui surviendraient. » Ce serait une espèce de dictature, s’il y avait aujourd’hui à Madrid les moyens et la possibilité d’une dictature. M. Pi y Margall, en exposant quelque chose comme un programme ministériel devant les cortès, a beaucoup parlé de l’ordre, du danger des divisions, des horreurs de la guerre civile, du rétablissement de la discipline militaire, de la nécessité de punir les soldats mutins et même leurs chefs, qui ne savent pas mourir pour maintenir leurs troupes dans la subordination. C’est fort bien ; seulement il y a une petite difficulté. Où sont les soldats ? où sont les chefs ? où est l’autorité supérieure capable de refaire l’armée espagnole et de lui donner des ordres ? On a pu avoir tout récemment une idée de ce qu’est cette autorité et même de ce que sont devenues les mœurs politiques de l’Espagne par un incident parlementaire où un certain M. Estevanez, transformé en ministre de la guerre, a pris une assez étrange figure. Ce