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dans cette compromettante compagnie pour avoir participé à quelques-uns des actes de l’insurrection, pour s’être exposé par cela même aux conséquences d’une complicité insurrectionnelle. Qu’est-il arrivé depuis deux ans ? Par quelles phases obscures est passée l’instruction judiciaire relative à M. Ranc ? Toujours est-il que le gouverneur de Paris, M. le général Ladmirault, a demandé, il y a seulement deux semaines, à l’assemblée l’autorisation de poursuivre le nouveau député du Rhône. Le point grave de l’affaire, c’est qu’on a eu l’air d’oublier M. Ranc tant qu’il n’était rien, et qu’on se souvient de lui le jour où il est élu député. Chose plus délicate encore, on n’a paru se ressouvenir du cas particulier de l’ancien membre de la commune que depuis le 24 mai. Pourquoi l’autorité militaire est-elle restée muette depuis deux ans, et a-t-elle retrouvé tout à coup la parole depuis la révolution parlementaire qui a eu lieu à Versailles ? Pourquoi l’ancien gouvernement n’a-t-il pas poursuivi, et pourquoi le nouveau gouvernement poursuit-il aujourd’hui ? L’esprit de parti s’est jeté dans toutes les interprétations, la curiosité publique s’en est mêlée : on a cherché des mystères là où il n’y en a sans doute aucun, là où il n’y a certainement rien de sérieux, et où les préoccupations politiques ne font qu’obscurcir une question toute simple.

Il faut voir les choses comme elles sont. M. Ranc a-t-il été en effet membre de la commune de 1871, et a-t-il participé à quelques-uns des premiers actes de l’insurrection ? Cela n’est pas douteux, c’est un fait matériel, palpable, avoué par celui-là même qui est en cause. D’autres membres de la commune, placés dans des conditions absolument identiques, s’étant retirés comme M. Ranc et au même instant, ont-ils été poursuivis ? C’est encore certain ; l’un d’eux notamment a paru devant un conseil de guerre et a même été absous. Pourquoi dès lors M. Ranc seul aurait-il le bénéfice d’une situation privilégiée ? En quoi le vote qui l’a fait depuis membre du conseil municipal de Paris ou député du Rhône a-t-il pu l’exempter de toute responsabilité ? Quelle loi exceptionnelle et souveraine de prescription y a-t-il en sa faveur ? Il sera condamné ou acquitté, c’est l’affaire du conseil de guerre devant lequel il paraîtra ; l’affaire de l’assemblée était purement et simplement de lever l’inviolabilité parlementaire devant laquelle devait s’arrêter désormais l’action judiciaire. On n’avait réellement à examiner ni en quoi consiste la responsabilité de M. Ranc, ni pourquoi la justice poursuit aujourd’hui plutôt qu’hier, ni ce qu’a fait l’ancien gouvernement ou ce qu’a pensé le gouvernement nouveau. Il y avait là une question toute simple, l’assemblée l’a tranchée sommairement en autorisant les poursuites, en écartant tout ce qui pouvait avoir un caractère politique, et ceux qui ont cherché à compliquer la question en soulevant des difficultés de toute sorte n’ont pas vu qu’ils faisaient, eux, précisément ce qu’ils reprochaient au ministère et à la majorité de faire. Oui assurément, c’était de la politique, et la politique la plus dangereuse que de prétendre