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saint revenir en arrière? — Comment nous pûmes avancer, c’est ce qu’aujourd’hui encore je ne peux pas comprendre. »


II.

Cependant les Français étaient entrés dans Moscou. Le premier mot de Napoléon à Mortier, qu’il nomma gouverneur de Moscou, fut celui-ci : « surtout point de pillage! vous m’en répondez sur votre tête. Défendez Moscou envers et contre tous. » Le sentiment qui dominait alors parmi les soldats, c’était l’orgueil de la victoire, la contemplation de leur propre conquête, le désir de se concilier l’admiration du monde et le respect des vaincus; bientôt ce point d’honneur tomba. Exaspérés par la façon dont ils se voyaient reçus à Moscou, furieux de ce qu’ils appelaient le vandalisme des Russes, mis en danger par l’incendie et les explosions, ils suivirent l’impulsion et l’exemple. Les 100,000 hommes qui firent leur entrée à Moscou étaient pourtant des troupes d’élite ; mais ils arrivaient affamés au terme de leur aventureuse expédition. Les premiers jours, nous les voyons rôder par la ville, cherchant un morceau de pain et un peu de vin. L’incendie ne leur avait laissé que de précaires ressources dans les celliers des maisons et dans les sous-sols des marchés. Ces provisions s’épuisèrent bientôt, et la grande armée sentit la faim. Les chiens, qui étaient revenus en grand nombre se lamenter sur les ruines des maisons de leurs maîtres, furent bientôt traqués comme un gibier de prix. Les uniformes tombaient déjà en lambeaux, et le climat russe commençait à faire sentir ses rigueurs. Peut-on faire un crime à de pauvres soldats, mal vêtus et mourant de faim, d’avoir arraché à d’autres un morceau de pain, de l’argent, du linge ou une peau de mouton? Point d’intendance qui pût leur distribuer des vivres; il fallait prendre ou périr. Que les armées qui dans des circonstances infiniment meilleures ont conservé les mains nettes leur jettent la première pierre!

Une armée ne s’abstient de pillage et de maraude que lorsqu’elle est contenue par une forte discipline et que chaque soldat se trouve sous l’œil de ses chefs. C’est un résultat qu’il eut été facile d’obtenir, si Moscou fut resté intacte. Napoléon se fut établi au Kremlin, les généraux dans les hôtels des nobles, les soldats dans les casernes ou dans les maisons des particuliers; on eût pu maintenir l’ordre dans les chambrées, et les caporaux d’ordinaire eussent régulièrement pourvu à l’entretien des hommes. L’incendie de Moscou mit les troupes françaises dans une situation bien différente. Napoléon était obligé de se retirer au. parc de Pétrovski avec une partie de son état-major; les commandans se logèrent où ils purent, les soldats se dispersèrent parmi les ruines. La surveillance deve-