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leur de 3,000 à 4,000 francs. Enfin les 4 piastres que le Chinois reçoit en paiement de son travail peuvent à peine suffire à ses besoins, tandis que l’esclave est bien nourri, bien soigné, et amusé parfois quand la nostalgie menace d’étendre un voile de tristesse sur son esprit naturellement impressionnable et enfantin.

On a vu beaucoup de nègres se racheter, quitter La Havane et aller jouer un rôle quelquefois important en Amérique; les coulies au contraire, malgré leur sobriété fabuleuse, sont fatalement amenés à contracter des dettes. Les planteurs, bien loin de leur refuser des avances, s’empressent de leur offrir tout ce qu’ils désirent. S’ils acceptent, les Chinois sont perdus. Désormais ce n’est plus un contrat de six ans qui les liera à un maître avide, c’est un contrat pour la vie. Malheureusement pour les planteurs, l’Asiatique aime encore plus son pays que la liberté. Si à bout de patience, après des prodiges d’épargnes et de privations, il s’aperçoit qu’il ne parviendra jamais à se libérer, il se tue froidement. Il croit en la doctrine consolante de Bouddha, et meurt persuadé que son âme va retourner au pays natal, pour y revivre, heureuse et dégagée de liens odieux, sous une nouvelle forme.

On va peut-être dire que, comme don Quichotte, nous nous sommes mis en campagne pour combattre des moulins à vent. Pourquoi parler d’esclavage au XIXe siècle? Sous quelle latitude, sur quelle mer signale-t-on des négriers ? S’il y a, il est vrai, de nombreux esclaves aux Antilles espagnoles et dans l’Amérique méridionale, c’est évidemment parce que ces misérables sont indignes de la liberté ; comment supposer que jusqu’à ce jour ils n’aient pu se racheter par un travail persévérant? En principe, l’esclavage est aboli partout, s’il ne l’est pas de fait, et cela doit suffire aux philanthropes les plus exigeans. L’Espagne vient de le supprimer radicalement à Porto-Rico ; La Havane aura bientôt son tour, les autres pays suivront. — A cela, nous avons le véritable regret de répondre que de nos jours encore l’Angleterre entretient dans les parages autrefois infestés par la traite une flotte formidable, et que, si les Anglais se condamnent à soutenir les charges d’un pareil armement, c’est parce qu’ils sont persuadés que, du jour où leurs navires cesseront de faire la police des côtes suspectes, la traite des noirs recommencera comme par le passé. Il n’y a pas bien longtemps que la France elle-même avait à la côte d’Afrique une station navale avec une pareille mission de surveillance; si nous l’avons supprimée, c’est que nos finances n’en permettaient plus le maintien.

Il y a au Brésil 1 million d’esclaves, et à Cuba 269,000, d’après un recensement officiel de cette année. A Zanzibar, le trafic des Africains se fait sur une si grande échelle qu’en ce moment même l’Angleterre et la France s’unissent pour le réprimer. À ce propos,