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réalité. Leur location se fait comme autrefois se faisait la vente des noirs. On les examine, on les palpe, on les ausculte. Un courtier beau parleur fait valoir la grosseur des bras, la largeur de la poitrine et des épaules, la rondeur des mollets et la petitesse des pieds. Le sujet en voie d’acquisition doit marcher, courir, trotter, tousser et cracher au commandement des amateurs. S’il est reconnu, après un examen révoltant, bien conformé et parfaitement sain, il est loué, — nous allions dire vendu, — pendant six ans, pour une somme qui varie de 500 à 300 dollars (2,500 francs à 1,500).

Au Pérou, le coulie est employé à la culture de la terre, de la canne à sucre, des vignes, à bêcher le guano et à le tasser sur les navires marchands qui le transporteront en Europe, où il fécondera nos terres épuisées. La mortalité chez ceux qui travaillent presque nus et sous un soleil ardent à l’extraction du précieux engrais est effrayante, quoique la nostalgie en fasse mourir encore plus que la poussière délétère au milieu de laquelle ils travaillent. A Lima, et ceux-là sont les moins infortunés, on fait des marmitons des Chinois; quelques-uns même deviennent d’excellens cuisiniers. Libres après six années d’un service peu pénible, ces rares privilégiés de l’émigration amassent un petit avoir qui leur permet de retourner en Chine, — le grand but, — pour y vivre à l’aise et indépendans.

A La Havane, le Chinois est envoyé tout de suite par son acquéreur dans l’intérieur de l’île, soit aux plantations de tabac, soit à celles de la canne à sucre. Il y est bien moins heureux que dans la république péruvienne, car le climat éprouve rudement le nouvel arrivant, le soleil a pour lui des rayons mortels, et l’orgueilleux Espagnol des Antilles ne le considère et ne le traite que comme un animal de renfort destiné à suppléer à la mollesse et à l’indolence de ses esclaves noirs. Ainsi que ces chevaux de louage que l’on prend pour ménager un attelage de prix, on loue les coulies pour faire rendre à leurs forces tout ce qu’elles peuvent donner. Tant pis s’ils meurent épuisés après la sixième année de leur engagement; leur mort ne sera jamais une perte comme d’un esclave, et les maisons de Macao renverront à La Havane d’autres Chinois jeunes et vigoureux, qui rempliront les vides avec un nouvel avantage.

Qu’on se garde bien de comparer le sort d’un nègre esclave, relativement heureux, à celui des engagés de Macao. Il n’y a pas de comparaison à établir, et on a vu quelquefois le pauvre noir prendre en pitié le sort de son jaune compagnon de labeur. La condition des Asiatiques est bien au-dessous de celle des Africains, nous ne saurions trop le mettre en évidence, par la simple raison que, ni l’un ni l’autre ne pouvant disposer à leur gré de leurs bras, il y a tout avantage pour le Havanais à faire travailler outre mesure le coulie, et à ménager un esclave qui représente, tant qu’il vivra, une va-