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avait entraîné tout son monde à sa suite. L’égout, ouvert à l’entrée de la rue de Ménilmontant et presque appuyé contre le réservoir des eaux de Belleville, est canalisé; il suit la rue des Fossés-du-Temple, s’enfonce sous voûte, et reparaît pour recevoir entre la porte du Temple et la porte Saint-Martin les égouts rectifiés du Temple et de la Croix; il remonte alors vers le nord, franchit les faubourgs Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre et Poissonnière; il est couvert et planté d’arbres sur l’espace de quelques mètres à la naissance de ce qui est actuellement la rue de Provence; il revient à fleur de terre, reçoit l’égout descendant de la rue Saint-Lazare sur l’emplacement de la rue Laffitte, passe sous la rue de la Chaussée-d’Antin, qui a caché son égout, qui est en partie construite et qu’on appelle indifféremment le chemin de la Grand’-Pinte, de Gaillon, de l’Hôtel-Dieu, à cause d’une ferme que l’hôpital possédait près du château des Percherons; après avoir parcouru toute la voie qui s’appela longtemps la rue Saint-Nicolas et qui prolonge maintenant la rue de Provence, il traverse sous un ponceau la rue de l’Arcade, la rue d’Anjou, s’avance parallèlement à la rue de la Pépinière, dépasse le faubourg Saint-Honoré au-dessous de Saint-Philippe-du-Roule, s’incline vers le sud, et, au milieu des Champs-Elysées, gagne Chaillot, où la Seine l’absorbe. Sur le plan de Verniquet, qui fut terminé en 1788, il n’en reste plus trace; en effet, dans l’intervalle il a disparu.

Un financier célèbre en son temps, Joseph de La Borde, qui habitait un hôtel entouré d’un vaste jardin là où nous voyons aujourd’hui l’Opéra, était propriétaire des terrains voisins; il voulut les mettre en valeur, et, par ce seul fait, rendit à la ville un service considérable, car ce fut lui qui réellement créa le quartier de la Chaussée-d’Antin. Des lettres patentes du 15 mai 1770 l’autorisaient à ouvrir deux rues nouvelles, l’une, partant du faubourg Montmartre et aboutissant au chemin de la Grand’ Pinte, devait être appelée la rue de Provence; l’autre, prenant naissance à cette dernière rue et débouchant sur le boulevard, recevait le nom du Comte-d’ Artois; c’est aujourd’hui la rue Laffitte. Or les deux voies dont il est question étaient le grand égout et la suite de l’égout Saint-Lazare; on les voûta, on les couvrit, des maisons s’élevèrent, la mode s’y mit, on y courut. L’exemple donné ne fut point stérile. Les rues nouvelles avaient été terminées en 1776; la spéculation se jeta sur ces terrains. En 1778, on ouvre la rue Neuve-des-Mathurins, en 1780 la rue Joubert, en 1784 la rue Saint-Nicolas. Le grand égout est rentré sous terre pour n’en jamais sortir; la ville est assainie et compte un magnifique quartier de plus, qu’on reliera plus tard à un nouveau groupe de constructions auquel on ne pourra conserver le