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homme de mon âge. Survient Ctésias, fils de Conon, en état d’ivresse, descendant le long du Léokorion, près des maisons de Pythodore. Il nous aperçut, poussa un cri, et se parlant à lui-même comme un homme ivre, sans que l’on pût entendre ce qu’il disait, passa devant nous pour monter à Mélité. Là (comme nous l’avons su depuis) étaient réunis à boire, chez Pamphile le cardeur, Conon que voici, un certain Théotime, Archébiade, Spiritharos, fils d’Eubule, Théogène, fils d’Aridromène, une assez nombreuse compagnie. Ctésias les fit tous lever, et marcha vers l’Agora. Le hasard voulut que, ayant tourné, au Pherréphattion et revenant sur nos pas, nous fussions précisément devant le Léokorion ; nous y rencontrâmes ces hommes, une mêlée s’engagea. L’un d’eux, que l’on n’a pu reconnaître, s’élança sur Phanostrate et le saisit ; Conon que voici, son fils et le fils d’Andromène m’entourèrent, se jetèrent sur moi, me dépouillèrent d’abord de mon manteau, puis d’un croc-en-jambe me firent tomber dans le ruisseau, et m’arrangèrent si bien à force de coups de pied et de bourrades de tout genre que j’en eus la lèvre fendue et les yeux gonflés à ne plus les ouvrir. En un mot, ils me laissèrent en si mauvais état que le ne pouvais ni me relever ni proférer une parole. Couché par terre, je les entendais dire toute sorte d’injures. Je ne parle pas du reste, ne me souciant pas de les noircir. Il y a d’ailleurs certaines choses que j’hésiterais à appeler de leur nom devant vous ; mais voici un fait qui montre bien l’insolence de cet homme et qui prouve bien que toute l’affaire a été conduite par lui. Il se mit à chanter, contrefaisant la voix du coq qui pousse son cri de victoire, et les autres lui disaient de faire le battement d’ailes avec les coudes. Des passans survinrent et m’emportèrent nu comme j’étais, pendant que ces hommes s’enfuyaient avec mon manteau. Quand j’arrivai à la porte de chez moi, ce ne fut qu’un cri de douleur de la part de ma mère et de ses servantes. On me porta au bain, non sans peine, et, quand je fus bien essuyé, on me montra aux médecins. Pour preuve de ce que j’avance, le vais vous produire les témoins. »


Est-il besoin de faire ressortir ce qu’il y a dans ce récit, plus encore que dans le précédent, d’habileté discrète et savante ? Remarquons d’abord l’extrême précision avec laquelle sont indiqués le lieu de la scène et les mouvemens de tous les acteurs ; tous ces endroits étaient familiers aux juges, que rien ne pouvait mieux disposer à se représenter les choses telles que les leur mettait sous les yeux celui qui semblait si bien se souvenir des moindres détails. Vers le début est jetée, comme en passant, une petite phrase où le plaignant raconte sa première rencontre avec Ctésias, fils de Conon ; l’orateur y insiste d’autant moins que le fait a dans son système plus d’importance. Tout en paraissant se borner au rôle de