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Ville, prêts à protéger et à couvrir le gouvernement. C’était l’affaire de moins de deux heures ; mais il faut bien se dire qu’on vivait à un moment de surexcitation où il n’y avait pas toujours une divergence absolue d’opinion entre ceux qui étaient positivement des fous ou des criminels et ceux qui passaient pour les modérés et les sages. Il y avait des points où l’on se rencontrait. Ainsi, sur la question des élections de l’assemblée nationale, les démagogues n’étaient pas seuls à réclamer un ajournement ; bien des conservateurs eux-mêmes le demandaient par passion patriotique, parce qu’ils craignaient que cette diversion des élections vînt ralentir ou énerver la défense. Quand il s’agissait de la marche des opérations du siège, des lenteurs reprochées aux chefs militaires, des accusations contre l’administration de la guerre, de la fabrication des canons par l’industrie privée, ce que disaient les agitateurs ne laissait pas d’avoir un écho, non pas partout évidemment, mais dans une portion assez nombreuse, crédule, facilement défiante, quoique bien intentionnée, de la population. Il en résultait qu’il pouvait y avoir un jour où, à la faveur de cette confusion, les promoteurs de manifestations pouvaient essayer de profiter d’une émotion soudaine, d’une certaine disposition du sentiment populaire à l’inquiétude et à la méfiance. Ce jour-là venait justement à la suite de trois faits qui, en se groupant tout à coup, allaient produire cette crise désastreuse du 31 octobre, où la sûreté, l’indépendance et l’honneur de Paris étaient près de sombrer dans une obscure et avilissante échauffourée.

Le premier de ces faits était la nouvelle de la perte de Metz, tombant subitement, presque subrepticement au milieu de Paris, annonçant qu’il y avait une capitulation de plus, — la capitulation de la citadelle de la Lorraine et d’une armée de 160,000 hommes. On devait évidemment s’y attendre. Le gouvernement avait essayé à plusieurs reprises d’entrer en communication avec le maréchal Bazaine, il avait envoyé notamment trois marins chargés de forcer le blocus de Metz en s’introduisant dans la ville par la Moselle ; aucun des messagers n’avait pu arriver, deux avaient disparu. Au moment où tout était déjà perdu sans qu’on en sût rien encore, on s’occupait de préparer une tentative nouvelle, lorsque le 27 octobre un des journaux les plus furieux de la démagogie, le Combat, publiait comme un « fait vrai, sûr et certain, » caché par le gouvernement, que « le maréchal Bazaine avait envoyé un colonel au camp du roi de Prusse pour traiter de la reddition de Metz et de la paix au nom de sa majesté l’empereur Napoléon III. » Comment ce journal avait-il connu ce fait, malheureusement « vrai et certain » en lui-même, mais présenté sous une forme d’une perfidie calculée ? C’est un mystère qui