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Le 20 avril 1826, Ibrahim fut averti par un déserteur que 1,500 armatoles détachés du corps de Karaïskaki s’étaient embusqués sur les derrières du camp turc. Les armatoles devaient faire une attaque du côté de l’ouest. La fusillade servirait de signal aux assiégés ; on. y répondrait de la ville par l’incendie de quelques maisons, et peu après tout ce qui se trouvait dans la ville tenterait une sortie en masse. Comptant près de 3,000 combattans encore, la garnison se chargeait de forcer le passage, la population profiterait du désordre pour la suivre. Ainsi averti, Ibrahim prit ses dispositions. Il ne se borna pas à se mettre en mesure de contenir les Rouméliotes de Karaïskaki et de recevoir de pied ferme le choc des assiégés ; il fit garder toutes les issues par lesquelles les défenseurs de Missolonghi pouvaient lui échapper. Le 22 avril, vers neuf heures du soir, au signal convenu, la garnison, formée sur trois colonnes, quitta silencieusement la place ; mais à la contenance et aux dispositions des Turcs elle s’aperçut bientôt que la fusillade engagée par les armatoles ne serait qu’une diversion insignifiante. N’espérant plus rien que d’elle-même, ne faisant appel qu’à son courage, elle poussa un cri formidable, et se rua sabre en main sur l’ennemi. Ni le yatagan des Albanais, ni la baïonnette des Arabes, ne pouvaient arrêter cette attaque impétueuse. Les soldats grecs franchirent d’un seul élan les fossés, les parapets, les traverses, tout le labyrinthe compliqué qu’offrent généralement des lignes de circonvallation. Pendant qu’ils balayaient devant eux les derniers ennemis qui s’obstinaient à leur faire obstacle, la population de Missolonghi se rangeait à son tour en dehors des remparts. Le murmure confus qui sortait de cette multitude arriva comme un bourdonnement jusqu’au camp d’Ibrahim. Les pièces turques dirigèrent leur feu de ce côté. Un irrésistible mouvement de retraite se produisit alors dans une foule qui n’était composée en majeure partie que de femmes et d’enfans. Ibrahim et Reschid firent avancer leurs troupes ; Grecs et Arabes, tout rentra pêle-mêle dans la place. Le désespoir des vaincus, la rage des vainqueurs, se confondirent dans une lutte effroyable. On sait quels excès se commettent, même entre nations civilisées et chrétiennes, quand une ville de guerre est enlevée d’assaut. On peut juger des horreurs que couvrit de son ombre la nuit du 22 avril 1826. Près de 2,000 personnes périrent dans les flammes, et tout individu mâle au-dessus de l’âge de douze ans fut immolé sans pitié. Les Turcs se vantèrent d’avoir coupé à Missolonghi plus de 3,000 têtes. Les femmes et les enfans qu’ils épargnèrent furent vendus publiquement comme esclaves ; la flotte égyptienne les emporta en Candie et en Égypte.

Ibrahim, prétend-on, gémit amèrement sur l’impossibilité où il