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officier, blotti derrière la fenêtre, vise un ennemi ; un turco, les yeux hagards, les dents serrées, charge le fusil de son chef. Un vieux sergent chevronné. en capote grise et un jeune soldat s’accroupissent pour ramasser les cartouches qu’ils trouvent dans les ceinturons des morts. Un capitaine blessé se traîne péniblement vers la fenêtre en s’appuyant aux murailles ; un autre blessé se tient tristement assis dans l’encoignure de la porte. Au fond de la chambre, debout devant l’alcôve où pendent encore des rideaux troués et un bénitier épargné par les balles, un petit chasseur à pied s’est campé droit sur ses deux jambes, la cravate dénouée, les habits déchirés, le képi de travers sur la tête et les mains dans ses poches, avec un air de résolution à demi maussade, à demi farouche. Son fusil brisé traîne à ses pieds, il va mourir, il le sait bien, et il en a pris son parti ; mais il s’ennuie, il voudrait se venger avant de mourir, et il ne le peut plus ! Par l’embrasure de la porte, on aperçoit des soldats qui s’agitent dans une fumée lumineuse. Un officier, debout, cambré comme à la parade, le pistolet à la main, commande le feu. Cette figure est moins bonne que les autres ; elle est banale et manque de naturel. L’exécution de cette toile répond à merveille à la pensée : elle est franche, leste, facile, brillante, pleine de crânerie. Voilà un tableau vraiment français, ce qui ne veut pas dire pour nous que ce soit un mauvais tableau. — On retrouve quelques-unes des mêmes qualités expressives dans la petite toi le, qui représente le halage d’un bateau pêcheur. Toute la famille du pêcheur s’est attelée au cabestan ; hommes et femmes, vieux et jeunes poussent à la roue, et il y a telle femme maigre, penchée sur la barre, dont on admire, en le plaignant, l’effort héroïque et débile ; mais M. de Neuville perdrait trop à ne pas nous laisser sous l’impression des Dernières Cartouches.

Voyez en revanche comme ils dorment, comme ils sont propres, les petits soldats de M. Protais ! L’an dernier, cet artiste avait cherché à nous attendrir avec son bivouac de prisonniers ; cette fois sans doute il cherche à nous convaincre des charmes de la vie militaire par sa halte dans la forêt, ils sont là au moins toute une compagnie, dans un carrefour, au fond des grands bois, et ils dorment tous, sans exception, éparpillés bêtement un à un, sans aucun groupement pittoresque. Seul, assis au pied d’un gros chêne, le plus beau de la forêt, remarquez-le bien, l’officier veille, esclave de son devoir. Oh ! la sublime idée qu’a eue là M. Protais ! Il a toujours, comme on le voit, l’imagination vertueuse ; sa peinture est toujours une berquinade militaire en action. Ce genre d’art et de poésie a du moins un avantage, c’est qu’il est à la portée de tous, et qu’il ne risque pas d’être incompris.

Sauf les toiles de MM. Détaille et de Neuville, qui sont tout à