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et de joie, et se sentaient moins heureux de ce qu’ils étaient parvenus à connaître qu’attristés de ce qui leur restait à savoir. « Il n’est personne, disait Plutarque, parmi ceux qui désirent avec ardeur posséder la vérité qui puisse ici-bas se rassasier d’elle à souhait, car le corps interpose entre elle et la raison une sorte de nuage qui les empêche de la distinguer. C’est pour cela que, semblables à des oiseaux, ils veulent toujours s’envoler vers le ciel. » Là au moins rien ne troublera plus leur regard ; ils seront placés dans la pleine lumière et saisiront toute la vérité. C’est ainsi qu’on fut amené à faire de la contemplation du monde et de ses lois le plaisir le plus délicat de la vie future et la plus belle récompense du sage. Dans le Songe de Scipion, Cicéron nous dit que ceux qui ont sauvé, défendu, agrandi leur patrie, habitent après leur mort un séjour réservé où ils jouissent d’un éternel bonheur, et ce bonheur qu’il décrit consiste surtout à promener les yeux sur l’univers, à en admirer les merveilles, à suivre les mouvemens des astres, à entendre l’harmonie des sphères, à contempler enfin sans voile ce que de la terre nous ne pouvons qu’entrevoir. — C’est aussi l’occupation du père d’Énée dans le séjour des bienheureux, et, quand son fils vient le visiter, il s’empresse de lui faire part des connaissances qu’il a acquises depuis qu’il habite l’Elysée et de lui dévoiler le système du monde.

Ce système, que Virgile développe en vers admirables, n’est pas tout à fait celui d’une école particulière : le fond en venait de Pythagore ; Platon et après lui presque toutes les sectes philosophiques importantes, à l’exception des épicuriens, en avaient adopté les parties essentielles. C’était aussi celui qu’accueillaient le plus volontiers les gens éclairés qui s’occupaient de philosophie à leurs momens de loisir, en sorte qu’au milieu de cette confusion d’opinions et de doctrines diverses il semblait que ce fût un des points sur lesquels on fût arrivé à se mettre d’accord. On admettait généralement que l’univers est animé d’une sorte de vie intérieure, qu’un souffle divin répandu dans toutes ses parties les pénètre, les vivifie et met en mouvement la masse entière : c’est ce qu’on appelait l’âme du monde. D’elle vient tout ce qui vit et respire ; les âmes des hommes ne sont aussi qu’une émanation, une parcelle détachée de l’âme universelle. Malheureusement ce principe divin, forcé de s’associer avec le corps, perd dans ce mélange une partie de sa vertu. « Cette prison obscure, qui enferme l’âme, l’empêche de voir le ciel, d’où elle vient, » et la mort même, en la délivrant de son esclavage, ne peut pas lui rendre toute sa pureté. Dans ce séjour sur la terre, dans ce contact avec le corps, elle s’est altérée, elle a contracté des souillures dont il faut qu’elle se lave. La purification dure mille ans : c’est le temps nécessaire pour que les