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monture, il se précipita à la tête de ses régimens sur l’ennemi. Dès ce moment, la bataille redoubla de fureur. De part et d’autre, sous une effroyable grêle de mitraille, les charges se succédèrent. Les fédéraux, massés derrière une éminence et protégés par les parapets qui n’avaient pu être entamés la veille, semblaient ne pouvoir être délogés par aucune approche. Enfin, à un dernier cri d’encouragement de leurs généraux, les confédérés se ruèrent avec une sorte de rage sur les travaux ennemis. Escaladant sous une pluie de feu les abatis d’arbres, s’élançant à travers un ravin et de profonds marécages, et chassant tout devant eux par une épouvantable charge à la baïonnette, ils plantèrent leur drapeau sur la redoute fédérale, et, blessés, mutilés, haletans, ils poussèrent un cri de triomphe qui résonna dans tous leurs rangs. Cependant les fédéraux résistaient encore, leur dernière ligne n’avait pas été rompue. La canonnade redoubla, une dernière décharge vint balayer l’artillerie fédérale, et le soleil couchant éclaira derrière des monceaux de morts et de mourans les troupes nordistes abandonnant leurs pièces. La première passe d’armes entre Lee et Mac-Clellan avait été fatale à celui-ci, bien que ses troupes se fussent admirablement battues. Il ne pouvait plus songer à prendre Richmond, tout au plus pouvait-il effectuer une retraite en bon ordre vers le James-River. Dans la nuit, il repassa le Chickahominy, laissant Lee camper sur un champ de bataille si chèrement acquis.

Cinq jours durant, les fédéraux opérèrent leur retraite à travers White oak swamp, marécage presque impénétrable, sans routes et sans issues, où hommes et chevaux, enfonçant jusqu’aux genoux et abîmés par le brûlant soleil de juin, manquaient de provisions et de ressources. Poursuivi avec acharnement par les confédérés et se servant contre eux de tous ces obstacles, il leur tint tête avec succès dans trois engagemens successifs, et finit par arriver à un campement sûr, près du James-River, à 30 milles de Richmond. Là, il se retrouvait sous la protection de ses canonnières. Lee rentrait de son côté, le 8 juillet, dans la capitale qu’il venait de délivrer d’une manière si éclatante, et qui le reçut en libérateur. Sa modestie presque exagérée, — vertu peu américaine, — lui rendait pénibles les nombreuses ovations qu’il dut recevoir. Ne sentait-il pas d’ailleurs qu’une première victoire ne rendait pas l’avenir moins difficile ? Les ressources du nord étaient immenses, comparées à celles du sud ; Mac-Clellan à lui seul avait encore 90,000 hommes sous les armes.

La défaite de celui-ci avait en effet inspiré au nord une nouvelle énergie. 300,000 hommes furent tout de suite appelés sous les drapeaux, et le commandant en chef mis de côté et remplacé par le général Pope. Son insuccès ne fut pas la seule cause de la