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jusqu’à Paris, que devient-elle ? Elle s’en, va entre les bords polis du canal jusqu’à ce qu’elle trouve l’orifice d’un tuyau de fonte vertical, — un dauphin, — où elle s’engouffre avec des mugissemens d’Encelade écrasé sous les rocs ; par cette route à pic, elle tombe dans la Bièvre, qui s’étonne d’être baignée d’une eau limpide à laquelle elle n’est point accoutumée.

Comme ces temples antiques sur lesquels les chrétiens ont bâti des églises, l’aqueduc d’Arcueil sert, en plus d’un endroit, de soubassement à une construction gigantesque qui, au point inférieur de la vallée, le dépasse de 18 mètres. L’heure n’est pas éloignée où toutes ces sources réunies à grand’peine entendront passer un fleuve au-dessus de leur tête : 100 millions de litres en vingt-quatre heures. L’aqueduc d’Arcueil soutient l’aqueduc de la Vanne ; l’œuvre de l’architecte des Médicis porte l’œuvre de nos ingénieurs. Très habilement ceux-ci ont profité du monument de Jacques de Brosse pour appuyer l’immense édifice qui guide à travers l’espace le canal aérien par où les sources de Champagne doivent venir jusqu’à nous. Cela fait un aqueduc à deux étages dont les piliers ont parfois été obligés d’aller chercher, au milieu de carrières exploitées, des fondations solides à 13 mètres de profondeur. D’une montagne à l’autre, un kilomètre d’arcades s’avance en demi-cercle et franchit le val de la Bièvre comme une suite d’arcs de triomphe. Cela grandit singulièrement le paysage, qui est affreux, nu, troué d’excavations, et qui évoque d’insupportables souvenirs. Voilà le fort de Montrouge effondré par les bombes ; voici la maison des dominicains qui ont été ce que la commune appela des otages. L’aqueduc a eu aussi son petit rôle pendant la guerre. Le 20 septembre 1870, l’eau cessa d’y couler, et pendant toute la période d’investissement les conduites furent à sec. Les Allemands l’avaient barré sur le territoire de Fresnes, au regard no 4, où correspond une concession particulière dirigée sur Berny. Un fort mur en briques et en ciment, — très bien bâti, car on eut quelque peine à le démolir, — força l’eau à changer de cours ; elle se répandit sur la grand’route et alla se perdre dans la Bièvre ; le 27 février 1871, le dégât était réparé, et les sources de Rungis rentraient à Paris à 10 heures du matin par leur chemin ordinaire.

Pendant le siège, l’eau ne nous a point manqué ; les pompes à feu de la Seine ont travaillé sans relâche. Il en existe six aujourd’hui, au Port-à-l’Anglais, à Maisons-Alfort, au quai d’Austerlitz, à Auteuil, à Saint-Ouen et à Chaillot : celle-ci est la mère ; c’est une machine à vapeur, elle attire l’eau, mais n’en contient pas. Une petite maison basse et trapue qui se ressent du goût de l’époque est assise en contre-bas du quai de Billy et renferme quelques bureaux