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considérait comme un pouvoir révolutionnaire destiné à être emporté d’un moment à l’autre par la « populace » de Paris. L’unique question était dans la possibilité d’un armistice qui permettrait la réunion d’une assemblée nationale prenant en main les affaires de la France. Cet armistice, M. Jules Favre le demandait, M. de Bismarck ne le refusait pas absolument ; il y mettait tout au plus quelques conditions indispensables qu’il résumait négligemment, impitoyablement : reddition des places des Vosges qui pouvaient gêner les communications de l’armée d’invasion avec l’Allemagne, reddition de Strasbourg, qui tenait encore, et de sa garnison, qui se constituerait prisonnière de guerre, continuation des hostilités autour de Metz ; à Paris, on livrerait une position dominant les défenses, « le Mont-Valérien par exemple, » et la ville garderait la liberté de ravitaillement, — ou bien, si on ne voulait pas livrer la position, le statu quo militaire serait maintenu devant Paris, l’investissement s’achèverait et resterait complet, tandis que l’assemblée qu’on pourrait élire se réunirait à Tours. C’étaient là les conditions que, peu de jours après, une circulaire du diplomate de l’invasion appelait « très conciliantes. »

M. de Bismarck prenait-il au sérieux la démarche de M. Jules Favre ? On en douterait presque, tant il se plaisait à faire sentir la pointe de l’épée victorieuse, tant il semblait jouer avec les émotions et les susceptibilités du représentant de la France. M. Jules Favre, peu accoutumé à de telles épreuves, n’était pas sans ressentir quelque saisissement, et, après avoir épuisé jusqu’au bout l’amertume d’un si cruel entretien, il se levait en disant : « Monsieur le comte, je me suis trompé en venant ici. » Il s’était trompé en effet. Assurément il avait peu réussi, il n’avait pas trouvé la paix qu’il cherchait. L’entrevue de Ferrières avait cependant un dernier avantage : elle dissipait toutes les incertitudes, s’il en restait encore, et simplifiait douloureusement la situation en révélant les implacables exigences de la Prusse, en montrant à Paris qu’il n’avait plus qu’à faire son devoir de ville assiégée, à la France qu’il ne lui restait plus qu’à rassembler ses forces pour continuer une lutte corps à corps où elle était désormais réduite à combattre pour l’indépendance de ses foyers, pour son intégrité nationale.

C’était le 19 septembre, et au moment même où M. Jules Favre rentrait à Paris, n’ayant à rapporter au gouvernement de l’Hôtel de Ville que la déception de sa diplomatie, la défense militaire de son côté venait, elle aussi, de faire sa tentative et d’essuyer son premier mécompte en livrant sa première bataille pour empêcher ou pour retarder l’investissement définitif. Depuis plusieurs jours, le général Trochu suivait avec attention les progrès de l’ennemi, qui