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eut à subir tout à la fois la domination de Catherine de Médicis et de Marie Touchet, la maîtresse du roi. Douce, compatissante et pieuse, elle eût prévenu peut-être le massacre de la nuit du 24 août, si elle avait conservé quelque ascendant sur son mari ; mais elle n’était qu’un pâle fantôme égaré au milieu d’une bande d’assassins. Elle ne trouvait autour d’elle que mystère et défiance, parce qu’elle était un reproche pour la reine-mère ou les instrumens de ses cabales, et de peur qu’elle ne mît obstacle à la politique d’égorgement on lui cachait les secrets de l’état, comme on les cache à un ennemi. Elle ne sut rien des préparatifs de la nuit du 24 août, et n’apprit que le lendemain ce qui s’était passé. Son premier mot fut « le roi le sait-il ? » et comme on ne lui répondait pas, elle demanda son livre d’heures et resta tout le jour en prière et en larmes. Marie-Thérèse ne trouva, comme elle, auprès de Louis XIV que froideurs et dédains insultans, mal déguisés sous les puériles formules de l’étiquette. Les courtisans osaient à peine lui parler, de peur de froisser Montespan ou La Vallière ; le roi refusait de la mener au bal, afin d’y conduire ses maîtresses, et quand il entrait chez elle, fort avant dans la nuit, elle attendait en silence qu’il voulût bien lui adresser la parole. Entourée tout à la fois d’hommages et d’outrages, elle mourut à quarante-cinq ans, désespérée, comme ses rivales elles-mêmes, de l’abandon d’un maître qui était l’incarnation vivante de l’égoïsme, et que la tendresse et les larmes des femmes laissaient insensible comme la misère des sujets. La dernière victime des débauches royales, Marie Leczinska, eut à supporter les mêmes affronts et les mêmes douleurs. Louis XV, dans les premiers temps de son mariage, lui avait témoigné une vive affection ; mais, comme le dit un chroniqueur des scandales du XVIIIe siècle, il avait déjà pris le goût du Champagne. Un soir, en sortant d’un petit souper, il entra chez elle dans un état voisin de l’ivresse, et, comme il s’approchait pour l’embrasser, elle détourna la tête et lui dit qu’il sentait le vin. A dater de ce moment, la rupture fut complète, et l’on sait trop ce qu’elle a coûté à la France, car en ce royaume où tous les pouvoirs et tous les droits s’étaient concentrés dans un homme, les faits de la vie du prince les plus vulgaires en apparence s’élevaient à la hauteur d’un événement politique, et les plus petites causes produisaient les plus grands effets.

Par un singulier retour des choses humaines, ces rois qui outrageaient si effrontément les lois de la famille et sacrifiaient les mères des héritiers de leur couronne aux aventurières des galanteries scandaleuses, Louis XIV et Louis XV, furent frappés tous deux dans leurs enfans, et la mort de monseigneur le grand dauphin, la mort du dauphin Louis, vinrent briser la loi d’hérédité directe qui faisait