Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tarda point à les violer, et, pour rendre aux yeux de ses sujets l’adultère plus criminel encore, elle fit choix d’un évêque, Adalbéron, que Lothaire, par une faveur particulière, avait élevé au siège épiscopal de Laon, la cité domaniale des Carlovingiens. Dans un temps où l’on croyait que les fautes des princes attiraient sur les peuples les malédictions du ciel, ces amours d’un prêtre et d’une reine, bientôt divulgués, produisirent un sentiment profond d’indignation et d’effroi. Le 2 mars 986, Lothaire tomba subitement malade à Laon, dans la ville même qu’habitait le complice de sa femme. « Il éprouvait, dit un historien contemporain, une douleur intolérable au côté droit. Ses intestins faisaient entendre des rugissemens. Ses mains étaient glacées, son estomac brûlant, et il faisait de continuels efforts pour vomir. » Sa mort fut aussi prompte que sa maladie, et, quand la nouvelle s’en répandit dans le royaume, personne ne mit en doute qu’Emma ne l’eût empoisonné. Son fils lui-même, Louis V, paraît avoir partagé ce soupçon, car dans une lettre adressée par Emma à sa mère l’impératrice Adélaïde, l’épouse adultère, qui sent peser sur elle une accusation terrible, laisse échapper ce cri de désespoir : « mes douleurs se sont encore aggravées depuis la mort de mon mari ; mon espérance était dans mon fils ; il est devenu mon ennemi… ô ma mère, venez à mon secours. » Ce fils, injustement flétri du nom de fainéant par les historiens qui se sont faits les courtisans de l’usurpation capétienne, ne devait point porter longtemps la couronne que lui avait livrée le crime de sa mère ; le 21 mai 987, il fut emporté, comme Lothaire, par une mort soudaine et imprévue. Cette mort est attribuée à une chute de cheval par un historien contemporain, Richer, qu’on pourrait appeler le chroniqueur officieux des premiers Capétiens, et par d’autres au poison.

Ici se présente un fait qui restera toujours un mystère historique, car ceux qui seuls auraient pu l’expliquer dorment depuis dix siècles sous la terre. Le lendemain même du jour où, pour parler le langage du temps, Louis V entrait dans la voie de toute chair, in viam universœ carnis intrabat, les grands feudataires réunis à Senlis décernaient la couronne de France à Hugues Capet ; cette singulière coïncidence était-elle l’effet du hasard ou le résultat d’une intrigue politique derrière laquelle se cachait un crime ? Emma, pour se venger d’un fils qu’elle traitait d’ennemi, l’avait-elle fait disparaître comme Lothaire, ou la reine Blanche, qu’on accusait d’entretenir des relations coupables avec Hugues Capet, avait-elle versé à son mari le poison qui devait donner la couronne à son amant ? Les deux reines ont été au Xe siècle l’objet des mêmes soupçons ; mais l’histoire doit acquitter, faute de preuves, le fondateur de la troisième race de toute complicité, et, si les soupçons sont