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sur l’Orient. Ses capitaines sont emportés par le zèle de la croix et l’abandonnent. Godefroi de Bouillon, qui avait terrassé Rodolphe de Rhinfeld, court à Jérusalem ; Henri reste presque seul en Occident. Il avait trop à faire en Europe pour songer à se croiser, et tous les esprits étaient pourtant entraînés de ce côté. Cette situation fausse, au contre-pied de l’opinion, rendit sa cause encore plus mauvaise. Le maître des esprits à ce moment était le pape, escorté de sa phalange de moines. Jamais influence ne fut plus dominante, plus absolue et plus applaudie. Enveloppé dans l’affolement général, Henri IV eut peine à s’en isoler, et en demeura non-seulement amoindri, mais presque anéanti.

Henri résista toutefois avec une constance héroïque, demeura debout quand tout pliait, et attendit le jour favorable : une alliance avec les Vénitiens lui fut de quelque avantage, mais un événement plus important servit mieux ses intérêts ; c’était la brouillerie inattendue des Welfs et de Mathilde. Les Welfs avaient découvert la fameuse donation, s’étaient crus joués et volés, et, cédant à la fougue qui dans l’histoire est le caractère de leur race, ils étaient venus, passant d’un extrême à l’autre, offrir leur épée à l’empereur pour avoir raison de la perfidie d’une femme. Henri, après quelque séjour dans la Haute-Italie, où il eut peine à se maintenir, était passé en Allemagne, où la lutte se réchauffait et prenait quelque allure favorable pour lui. Il célébra la Pentecôte à Ratisbonne, se montra beaucoup à Nuremberg, à Spire, terres de son domaine où il était toujours bien reçu et où il vécut en grande familiarité avec le peuple. Il convoqua une diète pour l’apaisement des partis, de pacando imperio, à Mayence, où Welf de Bavière montra beaucoup de zèle pour le parti franconien ; de quoi touché, l’empereur lui accorda des faveurs signalées. Il lui rendit le duché de Bavière, dont il l’avait jadis expulsé, et lui conféra le marquisat de Ferrare avec les autres fiefs d’Azon, père de Welf, en Italie, lesquels étaient alors vacans, avec droit de réversion en faveur de l’époux séparé de la comtesse Mathilde. En même temps la Souabe, où les partis des Zäringhen et des Hohenstaufen étaient toujours en présence, fut pacifiée ; une transaction mit fin à leurs querelles. Le duché restait à Frédéric à titre héréditaire, mais Berthold conservait le titre isolé de duc avec des compensations qui maintinrent le fondateur de Fribourg en grande puissance seigneuriale. L’empereur déféra ensuite son fils Conrad au jugement de la diète, laquelle déclara le jeune prince coupable de rébellion, le mit au ban de l’empire et le déclara indigne de succéder au trône impérial. Henri, brisé de douleur, présenta son second fils Henri, alors âgé de dix-huit ans, pour remplacer, le fils rebelle, et le fit couronner quelque temps après à Aix-la-Chapelle (janvier 1098) en lui faisant prêter