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là elle remplit le monde du bruit de plaintes incroyables contre son époux. On réunit un synode à Constance pour en connaître (1094), et devant les pères réunis Adélaïde révéla d’inouïes turpitudes dont elle se prétendit victime[1]. Accompagnée de Mathilde, elle fut porter les mêmes plaintes aux pieds d’Urbain II[2], et les renouvela au concile de Plaisance (1094) présidé par le pape, où elle reçut une absolution motivée sur sa participation involontaire à tant d’horreurs, mais où l’empereur son époux fut de nouveau frappé d’excommunication majeure pour tous ses forfaits accumulés[3]. Les chroniques ajoutent qu’après ces événemens accomplis elle se retira dans son pays natal, où elle entra dans un monastère dont elle fut nommée abbesse[4].


IV

Détournons les yeux de ces tristes pages de l’histoire, où l’on est heureux de ne pas rencontrer le nom de Grégoire VII, bien que Baronius veuille placer d’ignobles manœuvres sous ce grand patronage, prétextant que Grégoire n’a pas craint d’aliéner à l’empereur le cœur de sa mère l’impératrice Agnès[5]. On respire en retrouvant Urbain II à Clermont (1096), manifestant la puissance du catholicisme par la prédication de la croisade, et entraînant par un élan irrésistible l’Europe à la conquête de la terre-sainte. Il avait rencontré Conrad à Crémone, lequel lui avait fait office d’écuyer et prêté l’hommage de sa couronne d’Italie[6] ; mais la croisade fut un bien autre succès pour la puissance pontificale. Urbain II est par là devenu presque incontestablement le roi des rois, et l’on peut considérer dès lors la suprématie politique de l’empire comme abattue. Henri IV ne compte plus dans cet immense mouvement qui précipite l’Europe

  1. C’est le moine Berthold, de Constance, un ennemi d’Henri IV, qui nous l’apprend, sur l’an 1094 : « Querimonia reginæ ad constantiensem synodum pervenit : quæ se tantas tamque inauditas fornicationum spurcitias et A TANTIS passam fuisse conquesta est, ut… omnes catbolicos ad compassionem tantarum injuriarum sibi conciliaret. » Voyez dans Pertz, t. V, et dans Mascov, p. 114.
  2. Voyez les Annales de Disibodenberg, dans Pertz, p. 14.
  3. « In synodo placentina, dit Berthold sur l’an 1095, Praxedis regina jamdudum ab Heinrico separata, super maritum suum domino Apostolico et sanctæ synodo conquesta est, de inauditis fornicationum spurcitiis, quas apud maritum passa est. Cujus querimoniam dominus papa cum sancta synodo satis misericorditer suscepit, eo quod ipsam tantas spurcitias non tam commisisse, quam invitam pertulisse, pro certo cognoverit. » Le chapelain de Mathilde, Donizo, nous raconte les mêmes choses, lib. II, cap. VIII, de l’édit. de Leibniz.
  4. Annal, disibod. : « Regina reversa est in regionem suam, et ingressa monasterium, facta est abbatissa. » Pertz, loc. cit., p. 14.
  5. Voyez à ce sujet ce qu’en dit M. Villemain.
  6. Voyez son serment dans Giesebrecht, III, p. 1136.