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maintenir sa domination[1]. Henri se défendait comme un lion à la bataille, mais il était impuissant contre la diffamation.

Il avait perdu en ce temps (1088) sa vertueuse épouse Berthe, pour laquelle il avait éprouvé l’indifférence enfantine dont nous avons parlé, remplacée par un attachement constant de la part d’Henri, et de la part de Berthe par un dévoûment qui a donné le démenti le plus formel aux calomnies contemporaines. Henri avait été jeune et léger ; ses galanteries premières avaient été provoquées, applaudies par les évêques ses instituteurs. Adelbert de Brême en souriait comme d’aimables espiègleries. « Le jeune roi serait un imbécile, disait-il, s’il n’en prenait au gré de ses désirs[2], » C’est sur ce premier fonds de vérité que la malice inventive des moines a brodé un si incroyable tissu d’aventures de débauche, qu’on rougit en les lisant détaillées dans les annales des couvens, mêlées d’accusations de meurtres, de cruautés inouïes, absurdes, invraisemblables, impossibles, dont il était, dit-on, toujours absous par Adelbert. Il suffit de comparer les versions diverses des chroniqueurs pour se convaincre de la fausseté de ces imputations ; mais on peut rapporter leurs récits multipliés à un très petit nombre de sources, d’où la calomnie se propageait avec promptitude dans tous les monastères, où chacun en ce temps-là venait s’alimenter de nouvelles, comme aujourd’hui on les prend dans les journaux. C’est à quelques couvens de la Saxe et de la Bavière, Halberstadt, Hildesheim, Magdebourg, Reichersperg, qu’aboutit la généalogie de toutes ces nouvelles scandaleuses inventées pour perdre Henri IV de réputation. Je n’en citerai qu’une pour faire juger des autres. Les moines racontent que, lorsque Henri voulut répudier Berthe, comme il cherchait des prétextes, il imagina de la faire séduire par un de ses jeunes amis, auquel il donna l’ordre de poursuivre la reine et d’en obtenir rendez-vous. Celui-ci consentit, et la reine fit semblant de donner dans le piège ; mais à l’heure donnée, comme Henri, qui accompagnait l’ambitieux amant, se pressa d’entrer le premier pour convaincre sa femme, une grêle de coups de bâton l’assaillit de toutes parts ; c’était la reine et de vigoureux jeunes gens déguisés en femmes qui lui donnaient la bienvenue en lui criant : Fils de…..[3], d’où te vient tant d’audace ? Henri essayait en vain de se

  1. « Hic, dit la chronique de Peterahausen, nefandissimus heresiarcha sanctam matrem ecclesiam infestavit plus quam decem et novem annis. Erat tamen literis adprime eruditus et linguæe facundissimua, et, si justus, huic officio satis esset idoneus. » Dans la Quellen, Sammlung de Mone, I, p. 114-174, sur l’an 1080. Cf. Giesebrecht, t. III, p. 1114.
  2. Voyez Brunon lui-même, loc. cit. p. 176 et 177. « Stultum dixit esse (Adelbertus) si non in omnibus satisfaceret suis desideriis adolescentiæ. »
  3. Fili meretricis, unde tibi hœc audacia ? Brunon, dans son Hist. sax. belli, adressée à l’évêque de Mersebourg, p. 176 de l’édit. de Freher.