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commencement de sa carrière, avant l’exil ; il s’est voué depuis aux travaux de l’esprit, il est devenu un écrivain ; il a débuté ici, au milieu de nous, par ces pages vivantes et rapides sur les Zouaves, sur les Chasseurs à pied, dans un temps où il n’avait pas même le droit de signer de son nom l’œuvre la plus simple, la plus patriotique, et où la publication de ce qu’il écrivait n’était pas toujours sans péril. C’est un détail de l’histoire littéraire qui n’a point eu de place dans la séance de l’autre jour. M. le duc d’Aumale a donc été reçu à l’Académie comme il le méritait ; il a trouvé, pour lui donner la bienvenue, M. Cuvillier-Fleury, qui avait été autrefois le maître de sa jeunesse, et il n’a eu qu’à promener son regard pour distinguer partout autour de lui des visages connus. Celui-là même que M. le duc d’Aumale remplaçait et dont il avait à parler, M. de Montalembert, était de ce temps de la monarchie constitutionnelle où toutes les libertés parlementaires se déployaient au milieu des tranquilles fiertés de l’honneur national. Cette vie de l’orateur catholique ardent, passionné, impétueux, M. le duc d’Aumale l’a racontée en homme qui subit le charme du talent et de l’indépendance du caractère. Il a suivi M. de Montalembert dans tous les détails de sa vie de tribune, de ses luttes et de ses travaux d’écrivain. Le nouvel académicien a le jugement pénétrant et ferme, l’image vive, le langage nerveux, et en revenant sur le temps passé, sur un homme qui a honoré notre pays, il ne pouvait se dérober au spectacle du temps présent et des épreuves cruelles infligées à la France ; mais de ces malheurs récens il n’a voulu parler que pour indiquer le moyen de les réparer, le travail, et pour faire entendre ce qu’il a justement appelé « le cri chrétien et français : espérance ! » Et cette fête de l’esprit s’est terminée ainsi sous une impression à la fois sérieuse et fortifiante.

Il y a des jours heureux et il y a des jours malheureux. Récemment c’était M. le duc d’Aumale qui entrait avec éclat à l’Académie, hier c’était M. Saint-Marc Girardin qui disparaissait subitement, emporté par un mal foudroyant. Professeur, écrivain, député, homme d’un esprit brillant et sage, M. Saint-Marc Girardin appartenait, lui aussi, à cette forte génération qui depuis quarante ans a fait la renommée intellectuelle de la France. Son originalité, c’était le bon sens, et ce bon sens, il le portait dans la politique comme dans la littérature, en l’aiguisant de finesse et de piquante ironie, en le parant de toutes les grâces d’un art savant et habile. Il savait donner une séduction toujours nouvelle à ses cours de la Sorbonne, à ses livres, à ses essais littéraires et même à ses polémiques politiques. C’était en un mot un homme éminent et charmant. Partout où il a été, M. Saint-Marc Girardin laisse un grand vide, il le laisse surtout parmi nous, dans cette Revue où il a déployé son talent, oû il a si souvent raconté avec une raison pratique et une verve toujours en éveil nos affaires de tous les jours. Par la mesure de son esprit, par la modération naturelle de ses opinions, comme aussi par cette éduca-