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qu’il y a un certain changement, un certain déplacement dans la situation, que depuis assez longtemps la droite, sans vouloir prendre l’initiative d’un acte direct d’hostilité, croyait faire un sacrifice en maintenant M. Grévy à sa tête, et qu’elle n’a point été fâchée de trouver une occasion de se donner un président à elle en envoyant une pincée de cendre au front de la république dans la personne de celui qui la représentait au siège présidentiel.

Soit ; le président qui a été élu à la place de M. Grévy offre assurément les plus sérieuses garanties par son talent et par la modération de ses opinions. M. Buffet ne pourra répondre sans doute aux impatiens qui l’ont porté au fauteuil, il ne fera pas beaucoup plus que son prédécesseur, et il ne compromet certainement rien, il ne fait que reprendre le programme de la commission des trente, lorsqu’il dit dans son discours d’inauguration, en parlant de cette seconde partie de la tâche de l’assemblée dont il a été si souvent question : « Il nous reste à donner à notre pays, éprouvé par de si cruelles catastrophes, toutes les garanties de sécurité et d’avenir, qu’il nous sera possible de lui procurer. Nous ne faillirons pas à ce devoir… » C’est entendu, on ne faillira pas au devoir, on fera du moins ce qu’on pourra ; mais comment se prépare-t-on à ce devoir ? Justement en commençant par un acte de parti, en se jetant dans une sorte de conflit entre la droite portant au fauteuil M. Buffet et le gouvernement soutenant la candidature d’un des vice-présidens, M. Martel. La conséquence, on la voit aussitôt : l’assemblée se coupe en deux. Dans un premier scrutin où le nom de M. Grévy rallie encore une majorité, la scission est déjà visible. Dans un second scrutin, M. Buffet n’est élu qu’à quelques voix de majorité. Le gouvernement est battu faute de quelques voix que la gauche, avec son esprit politique et son à-propos ordinaires, refuse à M. Martel. Ainsi vont les choses, de sorte qu’au moment où il va falloir nécessairement aborder cette « seconde partie de la tâche » dont l’assemblée revendique justement le devoir et l’honneur, on se fractionne, on se défie ; on a l’air d’opposer un camp à un camp, d’élever présidence contre présidence, et en procédant ainsi, en obéissant à des passions ou à des calculs de partis, on ne s’aperçoit pas qu’on risque d’aller à l’impuissance par la division de toutes les forces, qu’on s’expose à se réveiller brusquement devant la nécessité d’une dissolution avant d’avoir donné au pays les « garanties de sécurité » dont il a besoin.

Heureusement il y a une inspiration supérieure de prudence qui résiste, qui finit assez souvent encore par avoir le dernier mot, et c’est là même un des phénomènes singuliers, saisissans, de nos laborieuses affaires. Il y a une sorte de combat engagé, sans cesse renouvelé, entre la raison, le bon sens, le patriotisme d’un côté, et de l’autre l’esprit de parti bruyant, agitateur, envahissant, qui se jette sur tout pour tout dénaturer, qui ne cherche dans les questions d’intérêt public que des