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George, dit cependant le roi Guillaume. Combien j’eusse désiré qu’il nous fût possible de rester plus intimement unis ! Bien des choses iraient peut-être mieux en Allemagne. Malheureusement il a toujours eu de la Prusse une sorte d’appréhension. — Il plaint du fond de l’âme ce pauvre roitelet qui s’imagine qu’il peut agir, conformément à son éducation de prince anglais, avec autant d’indépendance et de dignité que le souverain d’un grand empire, tenant entre ses mains des flottes et des armées ; il s’attendrit sur tant d’illusions, mais un regard par la fenêtre au monument de Frédéric le Grand lui rend toute l’énergie nécessaire. — Lui aussi était seul, se dit-il, seul comme moi, abandonné de tous, et seul il était le plus grand ; — puis par un retour douloureux sur lui-même : — Qui aurait pensé qu’il me faudrait à mon âge subir une telle épreuve, conduire au combat cette armée nouvellement organisée, fruit de mes pensées, de mes efforts, et que je voulais laisser à mon fils comme un héritage, une garantie de puissance et de grandeur à venir ? Lorsque je reçus l’épée à l’heure de mon couronnement, la promesse monta du fond de mon cœur de ne la tirer jamais sans la nécessité la plus sérieuse, et, si je la tirais un jour, d’en faire usage avec l’aide de Dieu.

Le roi joint les mains et s’absorbe dans une méditation fervente, qu’il interrompt pour autoriser le comte de Bismarck à commencer sans retard les opérations militaires dans le cas où ses cousins resteraient sourds à une dernière tentative de conciliation. — Que la volonté de Dieu soit faite ! — ajoute-t-il. Louis XI n’eût pas mieux dit en préparant une chausse-trape après génuflexion faite aux amulettes de son chapeau.

Quelle différence, selon le romancier prussien, avec l’attitude légère, délibérée, provocatrice de la cour de Vienne en ces graves conjonctures ! Il s’agit pourtant d’un adversaire inconnu depuis la guerre de sept ans et dont on n’ignore pas la merveilleuse organisation militaire ; mais l’orgueil de l’Autriche est en jeu et aussi l’indépendance des princes allemands. François-Joseph n’hésite pas : il croit même pouvoir se passer de l’alliance française, subissant sur ce point l’influence du conseiller d’état Klindworth, un débris du temps où l’oreille de Metternich était dans tous les cabinets européens, où sa puissante main dirigeait les résolutions des cours. Le Staatsrath Klindworth est d’avis que la plus dangereuse de toutes les fautes serait l’irrésolution ; déjà on a trop tardé, il fallait agir contre la Prusse avant qu’elle n’eût conclu son traité avec l’Italie, et que celle-ci se fût armée. Le coup devait être brusque, rapide, et surprendre l’adversaire mal préparé ; au lieu de cela, on a échangé des dépêches aussi vaines, aussi oiseuses que les interminables disputes des héros grecs devant Troie. Dès la