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— Et jusque-là ?

— Jusque-là le devoir doit suffire.

— Eh bien ! répond M. de Manteuffel, je ne doute pas que le devoir ne soit accompli, je voulais seulement vous prouver que ce point important n’est pas pour vous.

— Soit ! Aujourd’hui elle est contre moi, cette opinion publique que vous avez si justement comparée au vent et qui, changeante par conséquent, tournera comme tournent les girouettes.

— Mais le succès est-il sûr, est-il préparé ? Nous avons traité deux questions, venons maintenant à la troisième, la plus grave, aux alliances. Où en êtes-vous avec la France, avec Napoléon ?

À cette question directe, les lèvres de M. de Bismarck frémissent en répliquant : — Nous sommes d’accord autant qu’on peut l’être avec ce sphinx.

— Avez-vous des promesses, des traités, ou une parole personnelle de Napoléon ?

— Je répondrai, dit Bismarck, puisque je me trouve devant mon maître. Eh bien ! j’ai parlé à l’empereur, mais vous savez combien il est difficile de pénétrer ce caractère mystérieux et d’obtenir de lui des promesses formelles.

Pendant cette conversation, M. de Bismarck feuillette des papiers qui se trouvent sur la table. — Voici le traité avec l’Italie, fait avec le général Gorone, qui nous promet d’attaquer l’Autriche méridionale.

— La France, qu’exige-t-elle pour sa part ?

— Elle demande la Vénétie pour l’Italie.

— Et pour elle-même ?

— Rien du tout.

— Rien ? réplique M. de Manteuffel avec un sourire de doute. Et le Hanovre, vous est-il favorable ?

— C’est ma sincère volonté de lui donner une position honorable dans l’Allemagne du nord et de gagner sa sympathie ; mais il faut que l’on cesse aussi de nous faire sentir toujours que nous sommes pour lui un obstacle.

— Qu’a promis le comte de Platen à cet égard ?

— La neutralité.

— Le traité est-il conclu ? demande M. de Manteuffel.

— Le comte de Platen ne pouvait le décider seul et désirait que cette affaire restât secrète ; je l’ai assuré que l’amitié du Hanovre nous était précieuse, que nous souhaitions la conservation du trône, bien que ce ne soit pas l’avis de tous les Prussiens, comme vous savez.

— Croyez-vous que le Wurtemberg et la Bavière restent neutres en cas de guerre contre l’Autriche ?