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gardés que tout le monde se chuchote à l’oreille. Quand Um Scepter und Kronen parut dans le journal universel hebdomadaire Uber Land und Meer ; que dirige à Stuttgart M. Hackländer, la curiosité publique fut vivement excitée.

Une certaine habileté dans la disposition des événemens, une certaine facilité de style trahissant l’écrivain de profession, on l’attribua tout naturellement à M. Hackländer lui-même, auteur de la Vie militaire en Prusse et de plusieurs romans estimés ; il paraissait invraisemblable cependant qu’un simple particulier eût ainsi la clé de la politique de son temps, et qu’il eût surtout l’audace de s’en servir, fût-ce pour glorifier un souverain victorieux. On s’étonnait surtout que les plus grands personnages contemporains donnassent à un publiciste quelconque le droit de les mettre en scène comme autant de marionnettes, et non pas sur les nuages de l’apothéose où nous sont apparus l’empereur Guillaume et son grand-chancelier entre Alexandre, Napoléon et Wellington, dans le Chant du nouvel empire allemand, mais en déshabillé pour ainsi dire, débarrassés même du masque transparent qui permettait de nommer à demi-voix les originaux du Grand Cyrus. Si nous nous avisions de poursuivre une comparaison, impossible d’ailleurs, avec notre Grand Cyrus, Um Scepter und Kronen, histoire ou roman, aurait deux infériorités : la première serait de remplacer la peinture affectée, mais ingénieuse en somme, des nobles sentimens d’une société polie, par les tableaux sanglans de la guerre entremêlée à ces effusions mystiques dont les Allemands ont l’habitude, et qui révoltent si justement notre goût ; parmi les vices welches ne figure pas du moins l’hypocrisie. La seconde infériorité serait l’absence d’esprit ; ceci ne doit point être reproché à M. Samarow, l’équivalent d’esprit n’existant ni dans la tête allemande la mieux organisée, ni dans le vocabulaire allemand le plus complet.

A défaut de ce don particulier, qui ne saurait leur être ravi, M. Samarow a emprunté aux Français telle contrefaçon du patriotisme affublée d’un nom ridicule et que l’Allemagne à raillée bien longtemps. Encore le chauvinisme français est-il naïf et franc, tout d’élan, d’instinct irréfléchi ; en Allemagne, il est farouche comme le fanatisme, raisonné, savant, éclos dans des cerveaux hégéliens qui ne s’ouvrent à aucune émotion naturelle aussitôt qu’il est question de principes et d’idées. Quelque forme qu’il prenne du reste, il doit paraître sans excuse quand c’est une guerre fratricide qui l’allume, car Um Scepter und Kronen n’est autre que le récit des événemens précurseurs de Sadowa, en attendant peut-être un récit bien autrement emphatique de l’invasion de 1870 et du siège de Paris : Si l’auteur était de ceux qui, persuadés qu’on ne peut atteindre à la liberté que par l’unité, prennent à cause de cela leur