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PHILIPPE.

plusieurs reprises, l’étreignit dans ses bras. Il était animé, rempli de joie. Depuis la veille, il avait débarqué; ses affaires l’avaient retenu au port tout un jour. Il arrivait enfin, il revoyait son enfant chérie. Il la trouvait plus belle, grandie. Il se remit. — Tu ne me dis rien, fit-il, et cependant. . .

Elsie pâlit malgré elle. — Pardon, répondit-elle, je. . .

— Qa’as-tu ? lui demanda-t-il vivement.

Elle se maîtrisa. — C’est la surprise, l’émotion. . .

M. de Reynie fut rassuré. Il semblait si loin de croire à quelque malheur. — Tu m’effrayais, dit-il; — puis, avec caresse et à demivoix, — tu sais, je viens pour ton grand projet, pour ton mariage.

Elsie se recula. — C’est inutile.

— Quoi ? fit M. de Reynie. Est-ce qu’il est arrivé quelque chose à ton fiancé ?

— Je ne l’aime plus.

— Ce n’est pas possible. . . après ce que tu m’as écrit !

— Cela est pourtant, et même je vous prierai de m’emmener d’ici. Je veux m’en aller, tout de suite.

Elle parlait vite, avec égarement. M. de Reynie paraissait si peu comprendre le chagrin d’Elsie qu’il eut bientôt un sourire. — Je vois ce que c’est. Il y aura eu quelque brouille d’amoureux entre vous deux. J’arrangerai cela. Je vais chez Mme d’Hesy.

— N’y allez pas !

Il y eut un effroi si spontané, si réel, dans la manière dont Elsie prononça ces paroles, que M. de Reynie devint subitement grave et pensif. — Et pourquoi ? Serait-ce donc alors Mme d’Hesy, serait-ce sa fille, qui s’opposeraient à votre amour ? J’ai charge de ton bonheur, mon enfant, dit-il résolument; je vais les voir.

Il embrassa Elsie et sortit. Alors Mlle de Reynie se laissa tomber à genoux en s’écriant avec désespoir : — Mon Dieu, ayez pitié de nous !

 
III.

Mme d’Hesy et Clotilde étaient rentrées chez elles en proie à une détresse et à une terreur qui devaient s’accroître d’heure en heure. Ainsi ce redoutable secret, qu’elles avaient porté à elles deux, ne se dressait plus seulement menaçant devant elles, il appartenait à une autre. Quel usage en ferait-elle, ou plutôt ne la terrasserait-il pas ? Elsie, frappée dans son bonheur, épouvantée dans son amour, garderait-elle sa générosité ou sa raison ? Et Philippe, que n’allait-il