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LA
MONTAGNE KURDE


I

A quelques lieues au nord du lac de Van, sur l’une des routes qui mènent de Tauris à Erzeroum, on rencontre une petite plaine arrosée par un ruisseau et ombragée de vieux chênes. Des voyageurs européens, venant de Perse, arrivèrent un jour en ce lieu solitaire pendant l’automne de 1860, et y firent leur halte de midi. L’un d’eux était un officier anglais, le lieutenant Meredith Gordon Stewart, des ingénieurs royaux. Il ramenait en Angleterre sa cousine, miss Lucy Blandemere, qui s’était mise en route sous la protection d’une vieille dame nommée mistress Morton. Un fonctionnaire ottoman de nation arménienne avait obtenu de se joindre à eux, et plusieurs serviteurs « francs » et indigènes complétaient la caravane.

Lucy Blandemere venait d’entrer dans sa vingt-deuxième année. Toute petite encore, elle avait perdu sa mère. Son père était colonel aux Indes, et ne faisait en Angleterre que de rares apparitions. La jeune Lucy avait grandi dans la famille de son oncle, un nobleman du Westmoreland, qui la laissait à peu près maîtresse d’elle-même ; heureusement mistress Morton, alliée de loin à la famille, s’était trouvée là pour se constituer la gouvernante volontaire de l’enfant et surveiller son éducation. En 1859, Lucy était une belle personne, grande, blonde, à la fois sensible et hautaine, avec une imagination un peu rêveuse et un esprit très résolu ; elle aimait la vieille musique, les récits de voyages lointains et les vers de Thomas Moore. Son père, nommé adjudant-général, avait été chargé d’une mission politique et militaire en Perse, et résidait à Tauris ; elle partit avec mistress Morton pour passer quelques mois auprès