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chacune des deux murailles ; s’il revenait au monde, il pourrait encore trouver à Sancerre un théâtre où renouveler son mémorable tour de force. Ces pauvres ruelles tortueuses ont vu plus d’héroïsme et de vertu morale que n’en ont vu et n’en verront probablement jamais bien des voies spacieuses et élégantes, car il n’y a pas de petite ville en France qui mérite mieux le respect dû à la constance dans le courage, la vertu difficile entre toutes. Cette bicoque de Sancerre a trouvé le moyen de soutenir un siège égal aux plus fameux, et un blocus auprès duquel la tenace défense de Gênes par Masséna est presque un jeu d’enfant. Citadelle des protestans pendant les guerres de religion, elle fut cernée au commencement de 1573 par le futur maréchal de La Châtre en même temps que La Rochelle et Harlem étaient assiégées, et pendant huit mois elle eut l’honneur, qui, heureusement pour elle, ne s’est plus renouvelé, de faire l’étonnement de l’Europe.

Rien n’est mieux fait pour enseigner ce que peut la volonté, je ne dirai pas d’une minorité résolue, mais seulement de quelques âmes. Au fond, cette résistance fut l’œuvre de deux hommes, du commandant militaire de la garnison protestante, Jouanneau, et du ministre Jean de Léry, et ces deux hommes à leur tour se réduisent à un seul, car Jouanneau, personnage obstiné, mais violent et imprudent, manquait essentiellement des qualités qui pouvaient imposer une longue énergie à la population. Cette résistance en effet fut moins encore, malgré le courage que montrèrent les Sancerrois, l’œuvre de la vaillance que celle de l’impitoyable discipline calviniste de cette époque, discipline dont le ministre Jean de Léry fut ici le représentant. Tant qu’il ne s’agit que de repousser les assauts de La Châtre et de protéger la ville contre la canonnade, la population sancerroise lutta avec un sombre entrain qui ne devait rien de sa farouche véhémence à la contrainte de l’autorité ; il n’en alla pas de même lorsque le siège eut été transformé en blocus. Aussi peut-on dire que pendant les quatre premiers mois le courage fut spontané, mais que pendant les quatre derniers l’énergie fut réellement imposée. On peut en juger par la série des mesures suivantes. Lorsque la famine devint trop pressante, on prit la résolution d’expulser de la ville tous ceux qui ne pouvaient participer à la défense, c’est-à-dire les vieillards et les pauvres. Un certain nombre de ces malheureux sortit donc de l’enceinte de Sancerre ; mais, La Châtre les ayant repoussés à son tour, leurs compatriotes refusèrent de les laisser rentrer, et ils furent libres de chercher leur vie parmi les herbes des fossés ou de se coucher à terre pour attendre l’heure où le bon vouloir de la nature débarrasserait leurs âmes de leurs corps, — fait de dureté impitoyable dont ma