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Là-dessus je prends congé de mes hôtes en les félicitant sur le caractère réellement historique de leur auberge, je les invite à prendre des mesures pour faire connaître les diverses particularités qui la recommandent à la curiosité des touristes, et je me mets en route pour Sancerre. Si nous n’avions su d’avance que le Nivernais est une province entièrement démocratisée, la couleur toute populaire de ces anecdotes aurait suffi pour nous le faire soupçonner.

Sancerre, située sur la rive ouest de la Loire, appartient au Berry tant par sa situation géographique que par son histoire ; mais, comme cette ville est la souveraine véritable de la verte plaine qui compose ce qu’on peut appeler le Nivernais gai par opposition au Nivernais sombre des forêts et des montagnes, nous n’aurons garde de ne pas traverser le fleuve. C’est le seul moyen d’ailleurs d’embrasser dans toute son étendue le superbe paysage de la vallée de la Loire, qu’elle domine comme une reine du haut de sa colline ardue. Je n’ai pas fait de voyage de trois quarts d’heure plus fécond en surprises charmantes. Tout au pied de la montagne, le petit village de Saint-Satur étage ses maisons avec une sorte d’humble timidité comme une vassale qui craindrait de relever trop haut la tête devant sa suzeraine. On dirait une sorte d’écoulement de la ville d’en haut, ou bien encore un des hameaux verdoyans de ce vaste vestibule circulaire où dans le purgatoire de Dante les âmes destinées au rachat stationnent avant de gravir la montagne de purification. Ce n’est pas une simple comparaison métaphorique, car au moyen âge les habitans de Sancerre, abusant des avantages que leur donnait la situation escarpée de leur ville, avaient pris les habitans de Saint-Satur pour souffre-douleurs, et avaient fait malicieusement un véritable purgatoire de ce gentil village. De temps à autre, les Sancerrois descendaient sur Saint-Satur, et livraient combat à ses indigènes jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus à faire l’un d’entre eux prisonnier. Ce captif une fois fait, ils le mettaient en mue jusqu’à la fête de Pâques ; alors le prévôt de la ville, se présentant devant ses administrés à l’instar de Ponce-Pilate devant les juifs, leur demandait s’ils voulaient qu’on délivrât ce Barabbas, sur quoi tous s’écriaient généreusement d’une voix unanime : qu’il en soit ainsi. Le lendemain lundi de Pâques, nouvelle expédition, encore plus folâtre que les précédentes. Les jeunes gens de Sancerre descendaient sur Saint-Satur sous le commandement de leur roi des jeux, et faisaient une guerre sans trêve ni quartier à tous les chiens qu’ils rencontraient. Cette plaisanterie, qui était sans doute une parodie symbolique où les Sancerrois représentaient les chrétiens et les chiens les infidèles, n’était pas, comme on peut croire, du goût des habitans de Saint-Satur, qui vengeaient de leur mieux