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et la comblait d’élégans cadeaux qui partageaient l’excellente femme entre la reconnaissance et la joie. C’est ainsi qu’il obtenait d’elle qu’elle lui apprît tout ce qui touchait à l’enfance d’Elsie. Ces récits étaient fort simples. Elsie avait déjà quelques années lorsque M. de Reynie lui avait donné miss Paget pour gouvernante. Mme de Reynie adorait sa fille et respectait son mari autant qu’elle le chérissait. Elle avait toujours été d’une faible santé et était morte jeune. Miss Paget, après avoir été l’amie de la mère, s’était consacrée tout entière à l’éducation de la fille; mais elle avait été surtout sa compagne et sa confidente. C’était Elsie qui avait voulu venir en France, c’était à elle que M. de Reynie avait confié la vieille fille en lui disant : — Prends bien garde à miss Paget ! — Et miss Paget, emmenée par Elsie, avait franchi les mers. Elle n’avait d’autre volonté, d’autres plaisirs que ceux de son élève. Elle aimait Philippe parce qu’Elsie l’aimait; s’il eût déplu à Elsie, il lui eût déplu également. Depuis quelques jours, elle voyait son enfant flotter de la crainte à l’espoir, et elle ne s’en alarmait pas trop. — Quand on va se marier, disait-elle à Philippe, on ne peut être heureuse sans un peu de chagrin, et c’est le cas de ma chère Elsie, qui a peur sans doute de ne pas être aimée de vous autant qu’elle vous aime.

Philippe se récriait, accourait auprès d’Elsie, et, par sa gaîté tendre, par son affection, qui évoquait tour à tour leur passé si court, mais si heureux, leur avenir rempli de promesses, il lui rendait pour quelques instans la sécurité et la joie. Il lui disait que Mme et Mlle d’Hesy se montraient pour lui pleines de prévenances et de soins, et qu’elles ne parlaient de sa fiancée que pour en faire l’éloge avec une sympathie vive et attendrie. N’était-ce donc point assez ? Il ne fallait pas qu’Elsie leur en voulût, il fallait qu’elle fût bonne pour elles, car ce mariage les avait troublées. Elles y songeaient si peu pour lui, qu’elles avaient cru garder encore longtemps tout à elles comme un enfant qui n’a pas grandi. Elles étaient un peu jalouses, pas autre chose, et n’attendaient, pour se prononcer tout à fait, que l’arrivée en France de M. de Reynie.

Elsie l’écoutait et restait pensive. Elle croyait que son père arriverait au premier jour; cependant elle n’en était point sûre encore, La dernière fois qu’elle avait reçu de ses nouvelles, il lui écrivait qu’il serait peut-être auprès d’elle en même temps que sa lettre, mais que peut-être aussi il ne partirait d’Amérique que par le prochain courrier; c’eût été, dans ce cas, un retard de quinze jours. D’ailleurs il était bien disposé pour Philippe; il l’avait été dès qu’Elsie lui en avait parlé. Elle lui avait dit qu’elle avait rencontré un jeune homme qu’elle aimait, et M. de Reynie avait répondu que,