Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’attendre des semaines entières qu’un ciel plus clément lui permette de partir. Avant l’édification du môle, il ne se passait guère d’année qui ne fût signalée par des sinistres. Tout le temps que durait l’opération de l’embarquement d’une cargaison d’oranges, le commandant du navire devait guetter attentivement les signes précurseurs de la tempête, souvent interrompre le chargement et donner le signal de la fuite, sous peine de faire naufrage contre la longue ligne des falaises de San-Miguel. De pareils événemens ne sont plus guère à redouter à présent, et, le commerce des oranges aux Açores étant ainsi devenu beaucoup moins aléatoire qu’autrefois, les frais divers peuvent être estimés plus sûrement. En somme, on peut dire aujourd’hui qu’une orange de San-Miguel, rendue sur la Tamise au mois de janvier, coûte de 3 à 4 centimes au marchand qui l’achète.

Sous un climat humide et tiède comme celui des Açores, on doit s’attendre à voir de temps en temps se développer sur les plantes des maladies parasitaires diverses, de nature végétale ou animale. Les relations variées de San-Miguel et de Fayal avec toutes les parties du monde facilitent aussi l’introduction de ces sortes d’épidémies. C’est ainsi qu’à deux reprises depuis quarante ans les orangers de l’archipel açorien ont été dévastés par des maladies spéciales. Pour la première fois, en 1834, on s’aperçut que l’écorce des orangers se fendillait. Les crevasses, situées principalement à la base du tronc, laissaient suinter un liquide gommeux que l’on a comparé à des larmes, d’où le nom de lagrima donné au mal. Bientôt après, l’écorce se boursouflait et se détachait ; le bois, laissé à nu, pourrissait, la racine s’altérait aussi, et l’arbre ne tardait pas à périr. On a remarqué que le nombre des oranges fournies par les sujets malades était plus grand qu’à l’ordinaire, mais que la qualité en était médiocre. Aujourd’hui encore une récolte trop abondante et de qualité inférieure rend suspect l’arbre qui la produit. Lors de l’apparition du fléau, les cultivateurs de San-Miguel, effrayés, ne reculèrent devant aucun moyen pour en arrêter la propagation. De larges incisions transversales furent pratiquées à la partie inférieure des troncs soupçonnés de maladie, afin de favoriser l’écoulement de la sève malsaine, les arbres les plus fortement attaqués furent arrachés et brûlés ; d’autres simplement déracinés et abandonnés au contact de l’air pour révivifier les racines, que l’on considérait comme le siège principal du mal. « J’ai vu moi-même en 1860, rapporte M. Morelet, à qui j’emprunte plusieurs de ces détails, ces nobles arbres mutilés et couchés sur le sol, où ils ne cessaient pas de végéter. Telle était leur vigueur que plusieurs résistèrent à ce traitement barbare, et que les autres continuèrent à fructifier, en