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PHILIPPE.


étaient demeurées en une sorte de stupeur. Elles se regardaient, n’osaient se parler. Bientôt Clotilde ne se contraignit plus. Elle devint très pâle et mit la main sur son cœur. — Quoi coup j’ai reçu là ! dit-elle. Apprendre ainsi qu’il existe, et dans quelles circonstances, mon Dieu ! Je ne savais pas ce qu’il était devenu, j’espérais presque ne jamais le savoir.

Mme d’Hesy, moins troublée en apparence, était intérieurement tout aussi émue. Elle prit les deux mains de sa fille, et les serra fortement. — Nous allons songer à ce qu’il faut faire. C’est du bonheur de Philippe qu’il s’agit. Nous combattrons ensemble, Clotilde. Je suis, tu ne l’ignores pas, ta meilleure amie, et nous avons encore du temps devant nous.

— Qui sait ? fit Clotilde abattue.

Au même instant, comme pour lui donner raison, le domestique apporta une carte à Mme d’Hesy. — C’est, dit-il, une jeune fille, accompagnée, je crois, de sa gouvernante, qui désire être reçue par madame.

C’était la carte d’Elsie. Cette visite imprévue, à une heure déjà avancée, augmenta l’anxiété de Mme et de Mlle d’Hesy. Si leurs inquiétudes n’eussent été très grandes, cette démarche les eût étonnées d’une façon pénible comme un manque de tact chez une jeune fille dont elles n’étaient que trop portées à s’exagérer l’étrangeté de conduite. Elles dirent cependant au domestique d’introduire les personnes qui se présentaient.

Mlle de Reynie entra seule.

— Pardon, mademoiselle, lui dit froidement Mme d’Hesy, je croyais que vous étiez accompagnée.

— C’est vrai, j’avais avec moi miss Paget, qui est ma gouvernante et mon amie; mais la démarche que je fais auprès de vous, madame, et de Mlle d’Hesy, m’est tellement personnelle que j’ai prié miss Paget de venir me retrouver. Vous m’accorderez bien, je l’espère, une entrevue de quelques instans. — Elle s’était aperçue de la froideur de Mme d’Hesy, et prononça ces derniers mots d’une voix faible et timide.

D’ailleurs Elsie était bien telle que Philippe l’avait dépeinte. Sa taille, assez petite, était élégante avec d’exquises proportions. Les mains et les pieds étaient ceux d’un enfant. Tous les traits avaient une extrême et transparente finesse. Le front pur s’entourait de boucles blondes et dorées. Ses grands yeux, bleus et limpides, regardaient bien en face. Le nez légèrement busqué se terminait par des narines roses et mobiles qui s’ouvraient facilement à l’émotion. La bouche, correcte, était pleine de décision. Cette toute jeune fille se montrait déjà femme par la volonté, par les vertus vaillantes,