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que j’ai trouvés dans l’établissement lorsque je l’ai visité, 6 pouvaient se diriger, 11 parvenaient à distinguer les couleurs, 38 reconnaissaient le jour, 88 étaient fermés à toute perception. Ceux-là sont pour la plupart frappés d’amaurose, le nerf optique est paralysé. Les autres disent qu’ils ont « un point de vue : » si faible qu’il soit, ils en tirent vanité ; mais les couches de brouillard qui les enveloppent sont trop épaisses et les rejettent au rang des infirmes. Ceux qui parviennent à déterminer les couleurs se trompent bien souvent : le bleu leur parait noir, le jaune leur paraît blanc, à moins qu’on n’ait soin de placer ces deux tons sur des nuances absolument différentes, telles que le rouge ou le vert. Presque tous du reste ont la prétention de voir les éclairs ; il ne faut point s’y fier, car le plus souvent ils les reconnaissent au moment même où le tonnerre éclate. Ce sont en général les aveugles incomplets qui ont été le plus défigurés par la maladie ; l’opacité de la cornée transparente leur fait de gros yeux blancs, toujours agités, saillans hors des paupières et qui ressemblent à des billes de porcelaine bleuâtre ; quelques-uns ont au milieu de l’iris une large tache laiteuse qui leur donne un horrible regard de hibou effaré. D’autres ont l’orbite vide, et les paupières toujours rapprochées ; lorsque celles-ci s’entr’ouvrent par suite d’une de ces contractions nerveuses de la face auxquelles ils sont sujets, on aperçoit un filet d’argent veiné de rose. Les amaurotiques ont des yeux comme les nôtres : point de déformation du globe, point de taie, point de mouvemens irréguliers ; c’est l’habitude ordinaire du corps qui dénonce leur cécité : le regard, sans expression, toujours perdu, comme disent les peintres, est d’une indicible tristesse ; leur œil est insensible à la douleur comme à la lumière. J’ai vu à l’hôpital de la Charité, il y a une dizaine d’années, une jeune fille charmante qui avait une amaurose ; pour se rendre compte du degré de paralysie dont elle était atteinte, on la soumit à une expérience qui parut cruelle et qui était inoffensive. A l’aide d’urne loupe, on fit converger les rayons solaires précisément sur la rétine à travers la pupille d’un de ses yeux : c’était de quoi allumer instantanément de l’amadou ; elle ne s’en aperçut même pas.

Tous ne sont pas des aveugles-nés ; sur les 143 élèves que j’ai vus, 20 seulement étaient frappés de cécité congénitale, 33 avaient perdu la vue aux premières heures de la vie ; ceux-ci, pour la plupart, ont été clos dans une obscurité perpétuelle par suite d’une ophthalmie purulente dont ils peuvent faire remonter la cause à l’inconduite de leurs parens ; 51 se sont fermés à toute lumière entre l’âge de quinze jours et celui de six ans, 22 entre six et dix ans ; 17 enfin ne sont devenus aveugles qu’après leur dixième année. Les sourds-muets qui ont entendu et parlé ont plus intelligens que les