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verticalement, il parvint à trouver l’équivalent des lettres de l’alphabet, des chiffres simples, des figures de la ponctuation et des notes de musique. Les combinaisons sont rationnelles : il n’y a en réalité que dix signes ; mais, si à chacun de ces signes on ajoute un point placé à gauche, on crée dix signes nouveaux ; un point mis à droite donne encore dix formes nouvelles. On voit par là jusqu’où l’on pourrait étendre cette méthode, qui suffit à tous les besoins et n’est point compliquée, car la lettre la plus chargée se compose de trois points en hauteur et de deux points en largeur. Mais pour guider la main, pour éviter que les points ne fussent tracés les uns sur les autres et ne devinssent illisibles au toucher, il fallait un appareil tout à fait spécial. Louis Braille l’inventa, et créa du premier coup un chef-d’œuvre de simplicité pratique. Qu’on se figure une planchette en zinc réglée de lignes creuses et munie d’un cadre de bois plat ; sur le cadre, on adapte une grille en cuivre percée dans le sens de la longueur de deux bandes de vingt-six trous rectangulaires, disposés les uns au-dessus des autres. Cette règle grillée représente la hauteur de deux lignes d’écriture ; elle est mobile sur le cadre, auquel elle n’adhère que par une saillie du métal pénétrant dans une entaille du bois. Entre la planchette de zinc et la grille, on place une feuille de papier épais et très résistant. A l’aide d’un poinçon émoussé, on fait dans chacun des trous le nombre de points nécessaires pour écrire les mots ou figurer les sons ; lorsque deux lignes sont écrites, on détache la grille, on la fait glisser sur le cadre, on la fixe dans l’entaille inférieure, et ainsi jusqu’en bas de la page. Par ce moyen, l’écriture, — le poinçonnage, — est toujours d’une irréprochable régularité ; les lignes sont forcément droites, et les lettres, ne pouvant être tracées que par l’ouverture même de la grille, n’empiètent jamais sur les voisines. — De cette façon, les aveugles écrivent en creux, et c’est en touchant le relief qu’ils peuvent lire. — L’objection n’a point de valeur : ils écrivent de droite à gauche, retirent la feuille de papier, la retournent, promènent leurs doigts de gauche à droite, et par conséquent n’ont plus à tâter que des lignes saillantes. L’espace qui sépare les points, les lettres, les mots, est réglé par la disposition même des ouvertures de la grille mobile. Cette écriture nocturne, — c’est ainsi qu’on la nomme, — est donc très nette, très commode à tracer, très lisible, lorsqu’on a appris à la pointer, ce qui n’est ni long ni difficile, car la plupart des parens qui ont des enfans aux Jeunes-Aveugles se mettent très vite en correspondance avec eux par ce moyen.

Tous les élèves de l’institution sont frappés de cécité, mais cela ne veut pas dire qu’ils vivent tous dans une nuit absolue ; pour quelques-uns, l’obscurité n’est pas complète. Sur les 143 garçons