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avant de prononcer un mot d’approbation ou de consentement, fallait-il savoir de quelle femme il s’agissait.

— Et comment cela t’est-il donc venu ? dit d’une voix tremblante Mme d’Hesy.

— Où l’as-tu donc connue, elle ? fit Clotilde avec une jalousie involontaire.

— Cela m’est venu tout simplement; je l’ai vue jeune et jolie, loyale et charmante, je l’ai aimée. Je crois que je lui ai plu aussi. JNous n’avons pas trop tardé à nous le dire, afin d’en être plus sûrs l’un et l’autre, et nous avons décidé d’en parler à nos parens, comme doivent le faire des enfans bien élevés et qui sont certains qu’on ne les contrariera pas. Voilà pourquoi je t’en parle, ma mère, et à toi aussi, Clotilde.

— Est-ce possible, tout cela ? s’écria Clotilde. Si je la connaissais au moins !

— Mais tu l’as vue ce matin; elle était au concert.

— Mon Dieu, mère, dit Clotilde à Mme d’Hesy, c’est peut-être cette jeune fille dont je t’ai parlé. Quand je pense, ajouta-t-elle naïvement, qu’elle m’a semblé ravissante !

Philippe frappa joyeusement des mains. — Ravissante, c’est elle ! Ce n’est pas moi qui te le fais dire. Elle était en bleu.

— Oui, et accompagnée d’une dame ou demoiselle qui n’est certes point sa mère.

— En effet, elle n’a plus sa mère. C’est sa gouvernante, miss Paget, qui l’accompagne.

— Qui est-ce enfin ? demanda Mme d’Hesy.

Alors Philippe raconta ce qu’il savait de sa fiancée. Elsie était la fille d’un riche Américain. Il n’était point cependant tout à fait exact de dire que ce fût un Américain, car c’était un propriétaire de la Martinique; mais il avait vécu très longtemps aux États-Unis, et c’était Là surtout qu’Elsie avait été élevée. Deux ans auparavant, quand elle avait perdu sa mère, son père n’avait plus pensé qu’à réaliser sa fortune et à revenir en France. Cela prenait beaucoup de temps; Elsie s’était décidée à partir la première. Elle avait traversé l’Océan avec sa gouvernante, avait été reçue à bras ouverts par la colonie américaine de Paris, et, comme elle aimait le monde et les plaisirs, elle s’était mise à courir les bals et les fêtes. C’était alors que Philippe et elle s’étaient rencontrés.

Au fur et à mesure qu’il parlait, l’inquiétude se peignait sur les traits de Clotilde et de Mme d’Hesy. — Ce ne sont point là, dit cette dernière, des mœurs de jeune fille.

Philippe ne se tint pas pour battu. Il accordait que les jeunes filles françaises n’avaient point cette manière de vivre; mais en