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L’unité de la législation fédérale doit amener tôt ou tard l’extension du tribunal fédéral et l’agrandissement de ses attributions. A l’heure qu’il est, cette haute cour, nommée, comme on le sait, par l’assemblée fédérale, a pour mission de juger les différends des cantons entre eux, de la confédération avec les cantons, de la confédération avec les corporations ou les particuliers, ainsi que les différends concernant les heimathlose ; elle juge en outre toutes les causes importantes dont les parties s’accordent à la saisir, sans parler des crimes et des délits politiques. Déjà le projet de révision lui donne en outre à juger les procès entre les particuliers et les cantons, quand l’une des parties la requiert. Il n’est pas douteux que son importance ne s’accroisse avec celle du gouvernement fédéral. On n’échappera pas plus à la centralisation judiciaire qu’à la centralisation du droit civil.

Il y a un dernier genre de centralisation que la Suisse semble aujourd’hui poursuivre avec une ardeur illibérale qui n’est pas tout à fait digne d’elle et qui ne fait pas très bien augurer de son avenir : il s’agit de la centralisation religieuse fondée par le moyen de la religion d’état. On sait que ce pays, qui jouit de toutes les libertés politiques, n’a pas encore pleinement connu la liberté religieuse. Quoique toutes les confessions chrétiennes y soient représentées, et qu’une longue habitude de vie commune ait dû leur enseigner à toutes la pratique de la tolérance, les passions religieuses se mêlent encore en Suisse au patriotisme local, et elles ont conservé quelque chose de l’ardeur qu’elles avaient au moyen âge. Si au milieu de ces dissensions, aujourd’hui fort près de s’apaiser, quoiqu’elles aient dégénéré plus d’une fois en guerre civile, la confédération bornait son rôle à exercer un arbitrage impartial et à prêcher la tolérance en préparant le régime de la liberté, on n’aurait qu’à s’applaudir de l’introduction du pouvoir central dans les questions religieuses ; mais il n’en est malheureusement pas ainsi. La confédération, se faisant en cela l’instrument des prétentions des gouvernemens cantonaux, parait vouloir s’engager de plus en plus dans la voie illibérale où M. de Bismarck l’a déjà précédée. Pendant que la nouvelle monarchie germanique fait mine de renouveler les querelles séculaires du sacerdoce et de l’empire, le gouvernement de la Suisse ne paraît pas comprendre que cette politique, qui est un anachronisme dans le temps où nous sommes, est de sa part, à lui, une sorte de suicide et d’abdication. Au lieu de se laisser tramer à la remorque du nouvel empire, la Suisse devrait sentir que sa gloire et son salut sont dans l’adoption d’une politique tout opposée, et, puisqu’elle s’occupe aujourd’hui de réviser sa constitution fédérale, elle devait profiter de cette occasion pour tenter, aux portes de