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ils s’en rapprochent encore davantage par l’analogie des lois. Ainsi la Suisse française a des lois civiles analogues à celles de la France, la Suisse allemande a gardé le vieux droit germanique, et elles s’en trouvent bien mieux l’une et l’autre que si la législation fédérale leur imposait une uniformité factice en faisant violence à leur génie et à leur histoire, les révisionistes ne se sont pas arrêtés devant ces objections ; le conseil fédéral lui-même, quoique médiocrement zélé pour la révision, n’a pas hésité à proposer à l’assemblée fédérale que désormais des lois uniformes régleraient pour la Suisse entière un certain nombre d’objets indispensables, tels que les contrats de transport des voyageurs et des marchandises, les vices rédhibitoires du bétail, les conditions de la propriété littéraire, la faillite et la poursuite pour dettes. L’uniformité des contrats de transport est tellement nécessaire que les compagnies de chemins de fer avaient cru devoir elles-mêmes parer à l’absence d’une loi formelle par des conventions volontaires. Quant à la propriété littéraire, il est urgent de mettre fin aux inégalités choquantes que produisent dans les cantons les concordats qu’ils ont passés entre eux, ou même les conventions spéciales qu’ils ont conclues avec les peuples étrangers. En ce sens, le conseil fédéral ne demandait que l’indispensable, et ne pouvait être accusé de tomber dans une centralisation imprudente.

Une autre question des plus intéressantes parmi celles que soulève la révision du droit civil est la question du droit d’établissement des citoyens suisses dans des cantons étrangers. L’acte de médiation de 1803 renfermait la disposition suivante : « tout citoyen suisse a le droit de transporter son domicile dans un autre canton et d’y exercer librement son industrie ; il peut acquérir les droits politiques suivant les lois du canton dans lequel il s’établit, mais il ne peut les exercer en même temps dans deux cantons. » Cette disposition libérale et sage fut abandonnée en 1815 ; le pacte fédéral du 7 août de cette année restitua purement et simplement aux cantons la législation de l’établissement. La constitution de 1848 eut soin de garantir le droit d’établissement, mais seulement aux Suisses appartenant à l’une des communions chrétiennes. Le projet de révision repoussé en 1866 étendait cette garantie à tous les Suisses sans distinction de croyance ; il s’agit aujourd’hui de faire mieux encore, s’il est possible, et d’adoucir les conditions matérielles de l’établissement, pour l’assurer à tous les citoyens.

En effet, cette législation étrange et surannée a produit un singulier résultat : c’est qu’il y a en Suisse des milliers d’individus qui n’ont pas d’autre patrie que la Suisse, et qui cependant ne comptent point parmi ses citoyens, puisqu’ils ne participent pas au droit de