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attachées à la souveraineté cantonale. Le conseil national au contraire tenait à ce que la constitution prescrivît formellement le recrutement par tête et l’obligation du service pour tout citoyen de vingt à quarante-quatre ans ; il voulait mettre l’organisation tout entière de l’armée dans le domaine de la législation fédérale, ne faisant aucune distinction entre l’armement, l’équipement et l’instruction ; il voulait que la solde elle-même pût rentrer dans les attributions du gouvernement fédéral, si la loi fédérale en décidait ainsi. Le matériel de guerre des cantons devait passer aux mains de la confédération, ainsi que les places d’armes et les bâtimens ayant une destination militaire.

C’était la centralisation la plus rigoureuse. Les fédéralistes disaient avec raison qu’une telle mesure était la ruine de l’autonomie cantonale. Du moment où les cantons ne posséderaient plus ni l’instruction, ni l’armement, ni l’équipement, ils seraient réduits au rôle de fournisseurs d’hommes, chargés de lever des recrues et de les mettre à la disposition de la confédération. On ajoutait qu’il ne fallait pas tant exiger d’une armée de milices, et qu’à tant vouloir imiter le système prussien, on finirait par rendre la charge du service militaire insupportable aux populations de la Suisse. L’instruction n’était-elle pas déjà excellente dans les grands cantons ? Les instructeurs cantonaux ne sortaient-ils pas d’une école spéciale ? La forme de l’armement n’était-elle pas déjà prescrite par la confédération ? Était-il nécessaire de tout bouleverser pour obtenir de nouveaux progrès ? On allait étouffer au contraire la salutaire et généreuse émulation qui régnait entre les cantons et entre les citoyens eux-mêmes. Cette opinion s’appuyait de l’autorité du général Dufour, qui voyait dans la souveraineté cantonale le ressort même de l’organisation militaire, et qui regardait une armée ainsi faite comme la plus apte à soutenir une longue et énergique résistance contre l’invasion. D’ailleurs où trouver les ressources nécessaires pour fournir à cet immense surcroît de dépenses ? Il faudrait encore une fois les dérober aux cantons. On leur avait déjà pris en 1848 les postes et les péages, mais on leur avait accordé une juste indemnité en échange ; fallait-il maintenant la leur arracher en violation de tous les contrats, et les dépouiller de leurs revenus en même temps qu’on les dépouillait de leur souveraineté ? — C’est sans doute pour répondre à ces objections et pour calmer ces craintes que le conseil des états a introduit deux légers changemens dans le projet du conseil national. Il a stipulé qu’autant que possible les unités tactiques devraient être formées de troupes d’un même canton, et qu’en outre « l’exécution de la loi militaire dans les cantons aurait lieu par les autorités cantonales elles-mêmes dans les limites