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présente dans la pratique de, graves inconvéniens. Les cantons ayant des populations d’importance très inégale, l’armée se trouve divisée en unités tactiques de valeur différente ; il faut bien en effet que les unités tactiques correspondent au nombre d’hommes mis sous les armes dans chaque canton. Ce fractionnement de l’armée fédérale va jusqu’aux dernières limites ; on trouve dans divers cantons jusqu’à vingt-deux demi-bataillons isolés et vingt-quatre compagnies d’infanterie détachées, qui n’appartiennent à aucun corps, de sorte qu’en temps de guerre l’état-major fédéral doit procéder à un travail des plus difficiles pour employer ces petits corps et les faire rentrer dans le cadre d’une organisation régulière. Quant à la réserve, comme elle est moins nombreuse de moitié, elle ne peut pas être organisée sur le même plan, et sa distribution ne saurait correspondre à celle de l’élite ; c’est donc une armée distincte de l’autre et bien plus difficile encore à encadrer.

Il y a d’ailleurs dans la loi du recrutement des anomalies grossières, qu’on ne saurait attribuer qu’à l’imprévoyance de ceux qui l’ont faite. Tout Suisse est, de par la constitution, tenu au service militaire ; mais, comme les cantons ne doivent qu’un contingent calculé d’après leur population supposée, ceux dont la population a augmenté fournissent en réalité beaucoup plus de soldats qu’il n’en faut. Tandis que l’armée fédérale ne compte sur le papier que 104,354 hommes, il y a en réalité 135,709 hommes sous les drapeaux ; tels étaient du moins les chiffres authentiques au 1er janvier 1870. Cela fait un quart en sus du nombre exigé, et ces hommes qui n’appartiennent pas légalement à l’armée fédérale, étant néanmoins astreints par la loi fédérale à l’obligation personnelle de servir, encombrent outre mesure les bataillons, et aggravent les charges des cantons. On voit dans certains cantons populeux des bataillons qui comptent jusqu’à 1,000, 1,200 et 1,400 hommes. D’autres cantons, pour éviter ce surcroît de dépenses, réduisent leur effectif en réduisant le temps du service. Ceux-ci n’attribuent que cinq ou six levées à l’élite ; ceux-là, sont obligés d’y consacrer onze ou douze levées pour parfaire leur contingent. Ce sont là des inégalités choquantes, fâcheuses à tous les points de vue ; il en résulte que les charges militaires ne sont pas égales pour les habitans des divers cantons, et que les dépenses militaires varient elles-mêmes, d’un canton à l’autre. Il en résulte enfin que l’instruction militaire, inégalement distribuée, ne saurait être amenée partout au même point de perfection.

Il y a encore plus à redire à l’institution de la landwehr, qui appartient, comme nous l’avons vu, aux cantons, et qui peut seulement, être requise par la confédération en cas de péril.