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fâcheuse qui s’est produite à cette occasion, il faut se féliciter pour la Suisse de l’échec des révisionistes. Il y a quelque chose de pire que l’ajournement d’une réforme utile, c’est l’adoption irréfléchie et prématurée d’une mesure qui se recommande par des influences étrangères ou par des intrigues de parti, et dont la grande opinion publique n’a pas encore pleinement reconnu la nécessité.

Il faut reconnaître cependant que la révision de la constitution fédérale n’était pas agitée pour la première fois. Dès 1864, à la suite de quelques mécontentemens et de quelques troubles qui s’étaient produits dans certains cantons où l’oligarchie des grandes compagnies industrielles avait provoqué des réactions démocratiques, les chambres fédérales résolurent de réviser la constitution ; elles espéraient par là ramener le calme en donnant satisfaction à l’esprit public ; mais elles s’aperçurent que le peuple réclamait le changement des hommes bien plus que celui des institutions, et celui des institutions locales bien plus que celui des institutions fédérales. Ce premier projet de révision, élaboré pendant deux ans, fut soumis, suivant l’usage, au vote des cantons comme au vote populaire, et il échoua dans ces deux épreuves.

En 1869, les chambres s’occupaient de préparer un nouveau projet de révision, lorsque survint la guerre entre la France et l’Allemagne, qui ne laissa plus qu’une préoccupation à la Suisse, celle de veiller à sa sûreté. Après la paix, le projet fut repris par le conseil fédéral, qui s’appropria, en le modifiant un peu, le travail antérieur des deux chambres. La guerre, en révélant certains inconvéniens graves de l’organisation de l’armée fédérale, avait apporté un argument de plus à la cause révisioniste, du moins en ce qui touchait les réformes militaires. Il n’y avait pourtant pas, il faut le dire, un mouvement bien prononcé de l’opinion publique en faveur de la révision. Le nouveau projet n’était, comme le précédent, qu’une œuvre législative régulière, et non pas une de ces réformes qui s’imposent par un cri général. Ce fut justement la cause de sa faiblesse ; au lieu de concentrer les regards du pays sur un certain nombre de points bien mis en lumière, les auteurs de la révision éparpillèrent leur attention sur une foule de questions accessoires, et ils cherchèrent le succès dans des combinaisons d’intérêts savantes qui, en ralliant autour de la révision beaucoup d’intrigues de parti, la compromirent aux yeux des vrais patriotes, et lui aliénèrent absolument la bonne volonté du pays.

Le travail préparatoire de la révision se divisa, comme d’usage, en trois parties. Le conseil fédéral, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, s’acquitta de la première partie de la tâche, et soumit aux chambres un projet qui servit de texte à leurs discussions. Le conseil